«C’était un robuste jeune homme d’environ 20 ans ; il tenait en main une vieille valise de cuir noir, et il avait jeté sur son bras un manteau de coupe grossière.» Son nom : Franklin Evans. «Lecteur, j’étais ce garçon ; et les mots que je viens de citer sont le nom du héros du récit que tu as maintenant commencé à parcourir. Je me sentirai flatté, s’il se révèle assez intéressant pour te mener jusqu’à sa conclusion.» Du héros narrateur, on apprend qu’il est né à Long Island, d’un père charpentier, et qu’il part tenter sa chance à New York, ville neuve, exaltante, où l’attendent rencontres et beuveries. Si le jeu des ressemblances avec l’illustre auteur s’impose d’entrée, celles-ci deviennent moins évidentes lorsque l’Ivrognerie de Franklin Evans prend un tour plus romanesque et embarque son lecteur vers le Sud esclavagiste et des rebondissements dickensiens impliquant mariages et bienfaiteurs surprise.
Ce qu’on nous raconte a, au premier abord, valeur d’exemplarité et s’inspire sur le fond et la forme des traités de moralité de l’époque. Nous sommes en 1842. L’auteur a 23 ans, il s’appelle Walt Whitman mais son nom n’apparaît même pas sur la couverture. On estime que le roman, son premier, se vendit outre-Atlantique à quelque 20 000 exemplaires, sans doute majoritairement acquis par les ligues de vertu «pour faire office de guide et de phare» face aux dangers de l’alcool. Treize ans plus tard, en 1855, le même Whitman publierait