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Libération
Lundi poésie

Zoé Besmond de Senneville, la poésie jaillie du silence

Poésiedossier
Dans «Sourdre et autres poèmes», la poétesse et comédienne fait le deuil de son ouïe en vers libres.
La comédienne et poétesse a perdu l’ouïe à l’aube de la trentaine. (DR)
publié le 2 juillet 2024 à 11h09

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Peut-on – et comment – (d)écrire ce qu’on ne peut plus entendre, c’est-à-dire traduire la privation, la perte ou l’absence ? A cette question existentielle, Zoé Besmond de Senneville répond de façon poétique. La comédienne et poétesse, déjà autrice du Journal de mes oreilles (éd. Flammarion) en 2021 tiré d’un podcast, a subitement perdu l’ouïe à l’aube de la trentaine. C’est une maladie – une otospongiose soudaine – qui a provoqué chez elle problèmes d’équilibre et disparition de l’audition. Et donne désormais matière à un premier recueil, Sourdre (et autres poèmes), aux éditions Maelström.

Dans cet ouvrage, ni pathos, ni épanchement. La poésie de Zoé Besmond de Senneville est un acte de résistance contre le mal qui l’accable. Bien sûr, il lui faut «faire le deuil de [s]es oreilles» dans un hommage funèbre en vers libre («C’est pour qu’ils pleurent/Et moi je pleure pour elles et pour moi»). Mais ce combat est l’occasion d’un jaillissement, comme une deuxième naissance de cette animatrice du Bordel de la poésie, à l’instar de l’eau ou de la lave qui sourd de terre («Cœur immense maintenant que/Les oreilles/Sont/Gone»). Cela passe aussi par une quête généalogique des origines, d’amour et du désir. Appuyés par un jeu typographique – des tailles de police différentes, des vers barrés, etc. – les poèmes de celle qui est aussi performeuse, modèle d’art et plasticienne, sont aussi une tentative littéraire, assez rare, d’exprimer la surdité par les mots, et de dire le bruit ou le silence qui s’ancre dans la chair. Cela implique de faire de l’expression corporelle sa propre musique. Et c’est joliment réussi.

Zoé Besmond de Senneville, Sourdre (et autres poèmes), éd. Maelström, 146 pp., 15 euros.

L’extrait

Dans mon silence

Dans mon bruit

J’entends tant

J’entends

Le parquet qui grince les escaliers flottants dans lesquels

nous nous cachions

J’entends le père qui gronde

La mère qui enfle

J’entends le sang qui coule par terre

Goutte à goutte

Non non

Je n’entends pas le sang

J’entends aussi

Les draps

Les jonquilles

Les volets s’ouvrant sur le jardin

J’entends ma mère

J’entends ma sœur

J’entends mon fils et puis

Ceux - les autres venus

Avant

Cette cacophonie