L’Opéra de Paris fait actuellement un carton avec le retour, après trois cents ans d’absence, de la Médée de Marc-Antoine Charpentier. Et pour cause : c’est William Christie, l’Américain qui a révélé le compositeur au public français et publié le premier enregistrement de l’œuvre, en 1984, qui dirige l’ouvrage. De surcroît à la tête des Arts florissants, l’ensemble sur instruments anciens qu’il a fondé en 1979 et dont il a désormais confié les rênes à Paul Agnew. Quant à la production, rachetée à l’English National Opera de Londres où elle fut dévoilée en 2013, elle est signée David McVicar : un vrai metteur en scène d’opéra dont on a salué ici les spectacles, du théâtre des Champs-Elysées au Met de New York, et qui sait faire du théâtre quand les protagonistes sont engagés dans des situations, et du music-hall quand la musique et la danse prennent le pas sur le drame. Que l’Ecossais ait transposé l’ouvrage durant la Seconde Guerre mondiale et en ait fait, par moments, une comédie ne surprend pas : c’est l’un de ses travers habituels, aisément excusable tant il déploie un sérieux métier pour animer le plateau avec le concours, cette fois, de la chorégraphe Lynne Page.
Le tableau de l’arrivée d’Amour, véritable ballet de GI’s américains, soldats de la Royal Navy britannique et coquines de cabaret au pied d’un avion douché de lumières mauve et fuchsia, signées Paule Constable, comme celui des Enfers, dont Médée déchaîne les forces surnaturelles pour accomplir sa funeste vengeance, ont l’évidence des numéros signés Bob Fosse ou Busby Berkeley pour Broadway et Hollywood. L’autre atout de cette production est la prise de rôle de Lea Desandre, autant attendue en Médée par ses fans que redoutée par ceux qui considèrent qu’elle n’a ni le mordant ni le volume suffisant pour lui rendre justice, sans parler d’un vibrato serré qui peut déconcerter. Christie la défend bec et ongles : rarement l’a-t-on entendu accompagner une vocaliste avec autant de chaleur et de passion et articuler, pour elle, les pupitres de son ensemble à la limite du legato romantique.
Il est vrai que la mezzo franco-italienne ne ménage pas sa peine pendant trois heures, s’invente bête de scène, évoquant Natalie Dessay lorsque, au risque de faire hurler les puristes du bel canto, elle plongeait corps et âme, à Bastille, dans la folie de Lucia di Lammermoor. Si tous les regards sont rivés sur Lea Desandre, la distribution aligne d’autres chanteurs de choc, à commencer par le grand haute-contre du moment, Reinoud Van Mechelen, au Jason projeté avec goût et assurance, et le baryton Laurent Naouri qui, fort d’une autorité et d’une puissance naturelles, campe un Créon royal jusqu’à la chute. En y ajoutant l’aigu fruité d’Ana Vieira Leite, en Créuse, la Cléone à fleur de peau d’Elodie Fonnard, et l’Amour gracile de Julie Roset, on comprend que les amoureux de la tragédie lyrique et de la déclamation baroque soient à la fête à Garnier.