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Libération
Disparition

Mort du photographe Olivier Metzger, regard central

Chéri par de nombreuses rédactions, dont «Libération», pour son œil inspiré et espiègle, le photographe installé en Provence est mort mercredi.
Olivier Metzger en septembre 2016. (Olivier Metzger/Modds)
publié le 2 novembre 2022 à 19h13

Ceux qui ont connu Olivier Metzger se souviennent de son enthousiasme, de sa disponibilité, de sa gentillesse et de son perfectionnisme… mais, surtout, tout le monde a en tête ses images en or : des photographies superbes, mélange subtil de force et d’étrangeté, de lumière mordorée et d’ambiance entre chien et loup, avec des personnages, des paysages ou même des animaux, comme une biche apeurée, transfigurés par sa lentille douce et précise à la fois. Son lévrier afghan, museau dans le vent et poils en bataille, lévitant dans une course au bord de la mer, reste une image marquante de ce motard dans l’âme qui aimait les grands espaces. Dans sa courte et fulgurante carrière de photographe, Olivier Metzger traitait tous les sujets en y apportant une touche singulière et une aura quasi fantastique. Très investi, il abordait inconnus et personnalités médiatiques à égalité, avec le même esprit de sérieux. Apprendre sa disparition mercredi, d’un accident tragique sur la route des Saintes-Maries-de-la-Mer, alors qu’il se rendait en voiture auprès d’un artiste qu’il appréciait beaucoup pour une prise de vue, est un choc terrible. Olivier Metzger vivait sa photographie «comme un road-movie» avait-il déclaré à la caméra du centre d’art GwinZegal. Il aimait que son «regard circule», il construisait son travail «comme un scénario». Il vivait dans un film et est mort sur la route. Libération, les Echos, Elle, Télérama se disputaient les reportages et les portraits du photographe de l’agence Modds. Œil précieux et très apprécié de la photographie française, Olivier Metzger avait un immense talent. David Lynch, notamment, adorait ses images.

«Remarquable exigence de qualité»

Né en 1973 en Alsace, de nationalité franco-suisse, élevé près de Bâle, ce diplômé de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles en 2004 s’est d’abord établi à Arles, puis dans les Alpilles, pour mieux sillonner une région qu’il photographie magnifiquement. S’il pratique la photo dès l’adolescence en autodidacte, Olivier Metzger arrive à l’image sur le tard, après avoir suivi des études d’infirmier et après avoir exercé ce métier pendant cinq ans dans les hôpitaux publics. Mais il quitte les malades pour l’image. Son œil est très vite repéré grâce à l’énigmatique série «Smile (Forever)» (2012) dans laquelle il photographie au flash une élégante femme aux longs cheveux gris, prise dans les phares d’une voiture désuète. Ses influences visuelles viennent de l’école américaine, Philip-Lorca diCorcia notamment, mais surtout le cinéma, Wim Wenders, Harmony Korine ou même le plus classique Melville… Dès le début, tout son style est déjà là : regard cinématographique, lumières éblouissantes, décors mystérieux, ambiance mélancolique et personnages magnifiés. Olivier Metzger devient vite le regard chéri des rédactions parisiennes, un interlocuteur privilégié en Provence. Pour lui, l’éclairage est là pour révéler des lignes complexes et des choses dissimulées.

Il travaille très tôt pour Libération et les services photo de tous les médias lui passent des commandes. «La première photo qu’il a faite pour le Monde était un très bon portrait de Raymond Depardon à Arles, se souvient Laurent Abadjian, directeur photo de Télérama. Olivier était un garçon délicieux, toujours extrêmement engagé dans ses commandes. Il maîtrisait parfaitement la lumière, ensuite le cadre. Dans sa remarquable exigence de qualité, subsistait cependant un doute ; il voulait toujours faire mieux.» Pour Télérama, Olivier Metzger a immortalisé les cinéastes roumains à Bucarest, les traces de Martin Luther King aux Etats-Unis et de multiples personnalités. En 2017 et 2018, deux années de suite, Libération l’intègre, – lui et son assistante et compagne, Rosanna Tardif – à l’équipe qui couvre le Festival de Cannes. C’est un baptême du feu stressant, de longue haleine où il faut sortir des portraits de comédiens et cinéastes dans des conditions très difficiles. «J’ai parfois presque été dans un état second, concentré sur un laps de temps très court pour me débarrasser de toute la pollution visuelle, bruyante qui m’entourait, explique-t-il à l’époque à la journaliste Sonya Faure. Tu es à deux doigts du vide. Finalement, il suffirait de peu pour que ça rate.» Au bord du gouffre, cultivant le doute, et néanmoins à toute heure du jour et de la nuit dans ce festival insomniaque d’une décontraction contagieuse, Metzger s’en sort avec une maîtrise bluffante.

«Un peu de sa propre grâce»

En 2018, il arpente à nouveau la Croisette, toujours avec Rosanna Tardif, flanqué de lourdes valises et d’une bonne humeur à toute épreuve. Le premier rendez-vous est donné sur le toit d’un hôtel luxueux où tout le monde suit une consigne stricte : interdiction de fumer dans le périmètre de Martin Scorsese. Et une autre : la photo doit se faire sur le tapis plein de logos appelé photocall. Pour Olivier Metzger, tout sourire, c’est «hors de question». A l’aide d’une plante et d’un miroir, il saisit – en deux minutes chrono – le visage du grand cinéaste qui lui répond avec espièglerie. Pendant quinze jours cannois, la magie Olivier Metzger transforme les lieux insipides, les palaces sans âme à moquette marron et les terrasses plastifiées. Les photos naissent comme autant de miracles extirpés à la contrainte, que ce soit Zhao Tao, actrice chinoise évanescente dans sa robe blanche sur fond bleu, le cinéaste Jim Cummings jouant dans le sable comme un gosse avec son costume impeccable ou Terry Gilliam, lampe à la main façon sabre. Selon la journaliste Julie Brafman, Olivier Metzger a, cette année-là, figé «un peu de sa propre grâce» dans le portrait des autres. Plus récemment, toujours pour Libération, il fait courir les nonnes du paradis clos du monastère de Solan dans les champs. Guidées par sa douceur et sa sensibilité, les religieuses, ordinairement très occupées, se sont prises au jeu de la séance photo.

Très vite, son talent a reçu des récompenses (prix spécial BMW en 2008, nommé au prix découverte des Rencontres en 2009…). Olivier Metzger a été exposé à la Fiac, à Paris Photo, à la fondation Hermès de Berne, à la Maison de la photographie de Moscou. Lors du second appel à projet de la BNF, il a été déclaré lauréat. Il produisait à l’heure actuelle un sujet autour des villes la nuit. Sa grande sensibilité à la lumière l’avait amené à constater la disparition des lampes à sodium, un éclairage nocturne et chaud dont il était friand. En effet, petit à petit l’éclairage nocturne change et devient froid à mesure que les villes s’équipent en LED. Lors d’une résidence à Soorts-Hossegor (Landes) en 2022, il a photographié les Landes la nuit dans une sublime série intitulée «Sodium». L’exposition de ce travail effectué devait se terminer le 5 novembre. Elle sera prolongée en sa mémoire.

Avec Gaëtan Roussel, une dernière séance

Le 21 octobre, par une douce après-midi d’automne, Gaëtan Roussel – dont nous publions le portrait en dernière page – recevait chez lui Olivier Metzger le temps d’une prise de vue dont nul n’aurait pu prédire qu’il s’agirait de son ultime collaboration avec Libération. Joint quelques heures après le drame, le chanteur évoque la rencontre. «Je me souviens d’une interview de Patrick Dewaere à qui l’on demandait à quel moment il savait si une collaboration avec un metteur en scène allait marcher ou pas, et qui avait répondu : “A la première seconde.” Toutes proportions gardées, c’est ce qui s’est passé avec Olivier, que je ne connaissais pas avant. J’ai immédiatement été séduit par le mélange de gentillesse et de détermination qui caractérisait son approche, comme sa façon de tenir son appareil, de se saisir d’une feuille pour faire un essai… Moi qui ne raffole pas des séances de pose, j’ai tout de suite senti que ça allait bien se passer et qu’il y aurait une forme de réciprocité dans l’échange. Au point que, juste après, je me suis senti impatient de voir la photo retenue, ayant la faiblesse de penser qu’elle allait m’apprendre quelque chose sur lui, sinon sur moi.»