Menu
Libération
Reportage

A Kinshasa, «quand je chante, j’ai le sentiment d’être au paradis»

Article réservé aux abonnés
Dans la capitale congolaise, des enfants des rues préparent un album de rap au centre culturel Mokili Na Poche. Un exutoire dans leur quotidien lugubre.
Junior (dit «le Roi des affaires») et Jérémy («5 h 30») en répétition au centre Mokili Na Poche, le 16 juin à Kinshasa. (Paul Lorgerie)
publié le 31 juillet 2023 à 17h16

Il suffit parfois de passer un portail pour trouver du répit. Le grincement de celui-ci, qu’il faut forcer d’un coup d’épaule pour entrer, est à peine perceptible dans le brouhaha du quartier populaire de Bandalungwa. Une cour exiguë, une parmi tant d’autres à Kinshasa, se dévoile. C’est ici, dans le centre culturel Mokili Na Poche, au milieu du vacarme de la capitale congolaise, qu’une poignée d’enfants finit sa nuit de labeur. Ils n’iront pas à l’école aujourd’hui. Des «shégués». C’est ce qu’ils sont, ou tout du moins est-ce le nom – à l’origine méconnue – que les Congolais leur donnent. Des enfants abandonnés, rejetés, dont la rue est le domicile.

Junior est à la rue depuis la mort de son père militaire, il y a six ans. A ses débuts, il avoue que son domaine de prédilection était les rétroviseurs. Arrachés d’un coup de coude bien placé, «je les revendais pour faire de l’argent», commente-t-il tout en se gardant de conter d’autres méfaits indicibles. A 17 ans, son quotidien est rythmé par les cliquetis des élastiques qui entourent son large panier de mouchoirs et paquets de cigarettes vendus dans les bars du quartier entre 15 heures et 4 heures du matin. Interpellé par les «psst» et les claquements de doigts, il est une «vermine» que les ventres à bière des clients écraseraient bien par simple cynisme. Ces Oliver Twist congolais sont des moins que rien aux yeux de la société kinoise. «Le Roi des affaires», ou «Des Aff» (c’est ainsi qu’on le surnomme), remballe