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A Nuits sonores, Marina Herlop, métamorphosée 

Festivals de l'étédossier
En évolution permanente, l’Espagnole, instrumentiste classique, exprime son intimité artistique en transformant à partir d’une base électronique les matières premières sonores en architectures débridées.
L'Espagnole Marina Herlop. (Angelo Guttadauro )
publié le 3 mai 2024 à 5h36

Cet article a été publié en partenariat avec le festival Nuits sonores.

Il est fascinant d’observer des musiciens en train de découvrir de nouveaux outils, de tâtonner. C’est là, bien souvent, par la grâce des accidents, qu’ils enfantent des musiques inédites. Marina Herlop, 32 ans, est de ces artistes qui manient l’imprévu comme matière première, un bel exemple de la musicienne instrumentiste classique qui, mise face aux machines, aux branchements électroniques et aux logiciels, doit tout réapprendre et, par la force des choses, se retrouve devant un miroir. C’est seule, avec son «incompétence», que l’Espagnole est finalement parvenue à s’exprimer après des années de recherche. Sur son dernier mini-album paru en 2023, Nekkuja, le cheminement est audible. Il y a ce synthétiseur vieilli et inquiétant, puis une drôle de harpe électronique qui semble esquisser une mélodie, des gouttes d’eau modulées pour former un arpège, une voix qui surgit, se démultiplie, stoppée net par un glitch assourdissant, et enfin, lointain, un rire d’enfant. Et rebelote. C’est presque un film d’horreur qui se déploie, l’inconnu qui fait peur, certes, mais qui surtout fascine.

Tentaculaire

Passée par l’apprentissage du piano dès l’âge de 9 ans, Marina Hernández López s’est toujours sentie à l’étroit dans l’académisme, à tel point que la Catalane, frustrée, a longtemps laissé tomber la musique pour privilégier ses études de journalisme, jusqu’à reprendre le chemin de l’artistique en 2016 en publiant un premier album, Nanook, passé franchement inaperçu, tout comme le suivant, Babasha, centré autour de son instrument fétiche qu’elle commençait doucement à malmener, à triturer. Il lui a ensuite fallu quatre ans pour sortir Pripyat et susciter l’engouement. Là, ses chansons devenaient semblables à des arbres dont les branches poussent de façon aléatoire, sinueuses, tentaculaires. Cet album est le premier qu’elle enregistre en partant d’une base électronique, nouvelle méthode qui a tout balayé et qui s’affirme enfin sur Nakkuja.

En usant des onomatopées comme percussions et en explorant la notion de rupture sonore, Marina Herlop est devenue une petite sommité en Espagne. Sur scène, elle est accompagnée de trois musiciens et choristes qui l’épaulent dans ses bizarreries harmoniques, l’aident à transformer les matières premières sonores évidentes en architectures débridées. Il y a quelque chose de Lewis Carroll dans son goût pour le détournement. Il y a aussi le spectre des musiques rurales italiennes collectées par Alan Lomax dans les années 50, la découverte du Mystère des voix bulgares qui résonne dans son attirance pour les chœurs massifs et douloureux, l’influence précoce et vite digérée de CocoRosie, des psychotropes, du paranormal, d’une diseuse de bonne aventure qui l’aide dans son introspection depuis 2019. Elles sont loin, ces heures passées à parfaire la technique du piano et à se conformer à des exigences. Place à une autre forme de perfectionnisme, celui qui somme Marina Herlop de plonger toujours plus loin dans le terrier de son intimité artistique.

Marina Herlop (live), vendredi 10 mai aux Grandes Locos à Lyon.