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Libération
Critique

Archie Shepp et Jason Moran, deux âmes en scène

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Dans «Let My People Go», le saxophoniste octogénaire s’est associé au pianiste de 46 ans. Le duo balaye les classiques du blues dans une connivence imprégnée des luttes noires-américaines d’hier et d’aujourd’hui.
Archie Shepp & Jason Moran. (Accra Shepp)
publié le 2 mars 2021 à 4h27

Dès l’introduction, des mesures qui s’étendent entre intense stridence et dense quasi-silence. On sait bien que ce disque tournera plus d’une fois. Et puis le chant d’Archie Shepp, une douce amertume au fond de la gorge pour habiter un spiritual sans âge : Sometimes I Feel Like A Motherchild. Des lustres que le saxophoniste chante le blues, la source de tout ce qui a suivi pour celui que trop s’évertuent encore à voir dans le costume étriqué du free jazzman quand lui s’entend tel un homme libre. Des abîmes d’une voix abyssale comme dans le souffle d’un cuivre, Archie ne cesse de revenir à cette flamme bleu nuit que dépeint si bien Miles.

Le drame qui se noue dans Sometimes I Feel Like A Motherchild – une intimité qui en une poignée de mots en dit tellement sur les sentiments partagés par toute une communauté – fournit l’essentielle trame qui irrigue de bout en bout ce dialogue instruit avec Jason Moran. Ce dernier, futur toqué de Monk, n’était même pas né quand le natif de Fort Lauderdale inscrivait son son pour la postérité avec Blasé, Yasmina, et puis Attica. Il avait tout juste deux ans quand Archie Shepp enregistrait déjà Sometimes I Feel Like A Motherchild, en une séminale session du style spirituals en compagnie d’Horace Parlan en avril 1977. Goin’Home, «un disque qui me fait toujours pleurer», confiait Shepp voici trois ans. Et ce n’est pas le seul qu’a gravé le saxophoniste avec pour unique partenaire un pianiste. Dolla