Le lien entre Kendrick Lamar et les manifestations violentes au Kenya n’est, en apparence, pas évident. Not Like Us, un des nombreux titres récemment diffusé par le rappeur californien pour railler son confrère canadien Drake, est devenu dans le pays d’Afrique de l’Est l’hymne d’un mouvement de la jeunesse né en juin dernier, qui a entraîné, au cours d’émeutes, la mort de cinquante manifestants. Réécrit par un artiste kényan, le titre a été le symbole de ces manifestations et du mouvement, lancé en juin sur les réseaux sociaux via le hashtag #RejectFinanceBill2024 («rejetez la loi finance 2024»).
Billet
C’est le rappeur Sabi Wu qui a lancé cette reprise de Not Like Us quelques jours avant les émeutes, modifiant les paroles de Lamar, qui insinuaient des actes pédocriminels commis par Drake, pour les transformer en appel au soulèvement et à un changement de gouvernement. Au magazine américain Rolling Stone, Sabi Wu explique avoir choisi Not Like Us car la chanson «représente les émotions des jeunes kenyans comme moi, qui vivent dans une situation économique difficile. […] La génération Z a toujours été négligée, mais nous avons montré, à travers les manifestations massives auxquelles j’ai participé et que je soutiens, que nous avons une voix». Dans son texte, il rappelle que «nous sommes ceux qui choisissent, nous sommes ceux qui votent, la loi de finance, je la déchire».
Emeutes meurtrières
La loi finance en question est celle proposée en juin dernier par le gouvernement kenyan pour l’année 2024-2025. Elle prévoyait de taxer des biens et des services courants dans le quotidien des Kenyans, comme l’huile ou le pain, entre autres. Une mesure rejetée par les manifestants, alors que le pays souffre d’autre part d’une forte inflation depuis la crise du Covid-19 (+ 5,1 % sur un an au mois de mai, selon la Banque centrale) et d’une dépréciation de la monnaie. Des manifestations pacifiques ont été lancées en réaction à ce projet de loi, mais le 25 juin dernier, elles ont dégénéré en émeutes, faisant cinquante morts et 413 blessés, selon le dernier rapport de la Commission Nationale Kényane des Droits de l’Homme. Dans le clip du rap publié sur le compte Instagram de Sabi Wu, de nombreuses scènes de violences durant ces émeutes sont montrées.
Le lendemain, le président William Ruto annonçait : «Après avoir écouté attentivement le peuple kényan, qui a dit haut et fort qu’il ne voulait rien avoir à faire avec ce projet de loi de finances 2024, je m’incline et je ne promulguerai pas [ce texte], qui sera par conséquent retiré.» Mais les protestations ne se sont pas arrêtées là pour la jeunesse kényane, qui a ensuite demandé la démission du président pour un nouveau gouvernement qui la représenterait d’avantage. «Au Kenya, les politiques ont toujours été tribales», explique Wu. «C’est ce qui rassemblait toujours les gens, mais nous, les jeunes, avons choisi d’être unis et sans tribus. C’est ce qui nous a renforcés. […] Tout cela a provoqué un véritable changement et a consolidé une nouvelle ère politique au Kenya.»