La vie de Matt Johnson est une histoire d’effacement et de deuils. Tête pensante depuis 1980 de The The, à la fois projet solo et groupe à géométrie variable, le Londonien, passé de la new wave synthétique à la pop crépusculaire a connu le succès dès son premier album (officiel, il y en eut d’autres avant) Soul Mining en 1983, pris d’assaut le top 30 avec Infected, disque violemment politique, puis avec Mind Bomb et Dusk avant de lâcher la rampe à partir de 1989 et le décès brutal de son frère cadet, Andy Dog, graphiste de ses pochettes. Petit à petit, il sombrera : une dépression qui ne dit pas son nom, l’alcool, les drogues, un syndrome de fatigue chronique persistant, le milieu musical dont il ne comprend plus les règles… En 2000, il est à sec, incapable d’écrire une ligne. The The n’est plus. Pendant dix ans, il se terre, retourne vivre chez son père, se reconstruit.
En 2010, The The renaît en compositeur de musique de film et en hôte de webradio. La disparition de son frère aîné en 2016, nouvel électrochoc, le sort de sa torpeur. Persuadé que tout le monde l’a oublié, Johnson programme à reculons trois concerts londoniens. Les places s’arrachent et une tournée, mondiale, voit le jour. Mû par une nouvelle énergie, The The entre en studio, et le résultat, l’inespéré Ensoulment, ne surprendra pas ceux qui l’ont suivi durant ses années de gloire. Hormis le chant, plus profond et apaisé avec l’âge, on retrouve tout ce qui fait sa force : une pop d’artisan, finement ouvragée, des tempos lents et des ambiances en clair-obscur. Sans oublier des textes, littéraires, à la fois brillants et bavards. Johnson ne parle jamais de lui, mais du monde qui l’entoure et qu’il ne comprend pas : la transformation de Londres par les promoteurs immobiliers (Some Days I Drink my Coffee by the Grave of William Blake), les failles du système éducatif, la vie /la mort… Et quand il se livre, avec Linoleum Smooth to the Stockinged Foot, c’est pour raconter la crise du Covid de l’intérieur. En pleine pandémie, il s’est retrouvé cloué au lit sous morphine après une opération chirurgicale lourde. Hors des modes, un peu lugubre, The The signe avec Ensoulment un retour aussi inattendu que globalement réussi.
The The Ensoulment (Cinéola /Ear Music)
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