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Libération
L'édito de Dov Alfon

Clash, harcèlement et complotisme : Booba, le grand dérapage

Erigée en figure de la lutte contre les arnaques en ligne, la ­mégastar du rap aux tweets hargneux et compulsifs poursuit toujours le même objectif : alimenter son business. Jusqu’à finir au tribunal  ?
Booba au festival de Dour, en Belgique, en 2022. (Paul-louis Godier)
publié le 14 février 2024 à 20h51

C’est à ce jour la plus grande affaire de cyberharcèlement traitée par la justice française. 28 personnes à qui on reproche d’avoir participé à des attaques virtuelles d’une violence inouïe ont été interpellées, poursuivies et jugées entre novembre et janvier. Demandant au tribunal de prouver que «l’espace numérique n’est pas une zone de non-droit», le ministère public a réclamé des peines de prison allant dans l’un des réquisitoires à vingt-quatre mois de prison dont six avec sursis contre un homme qui a adressé à la seule cible de ces attaques plusieurs dizaines de messages virulents, dont plusieurs menaces de mort.

Qu’est-ce qui a pu pousser ces prévenus qui ne se connaissent pas à s’acharner en meute contre Magali Berdah, une directrice d’agence d’influenceurs de 42 ans qu’ils n’avaient jamais rencontrée ? Notre journaliste a enquêté sur cette affaire glauque pour beaucoup mais extrêmement rentable pour certains. Car un nom revient encore et toujours à l’audience : Booba, le rappeur aux 3 millions de disques vendus, le résident fiscal de Miami aux 6 millions de followers sur la plateforme X, le provocateur ayant importé d’Amérique une tactique de publicité pouvant se résumer à une seule formule : du clash, encore du clash, toujours du clash. Après les altercations classiques avec d’autres rappeurs, Booba s’est vite enivré de ses déclarations de plus en plus provocatrices, passant de soutien des antivax à celui d’Eric Zemmour jusqu’à se réinventer en lanceur d’alerte contre les agences d’influenceurs, avec en cible principale la même Magali Berdah ce qui vaut au rappeur d’être mis en examen pour «harcèlement moral aggravé». Placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de s’adresser à elle sur les réseaux sociaux, il a reconnu la violation de son contrôle judiciaire mais nie toute responsabilité dans son cyberharcèlement de masse. Peut-on être reconnu comme chef d’une meute virtuelle ? Un motif est-il nécessaire ? Booba a annoncé le 9 novembre la création de sa propre agence d’influenceurs, et la disparition des concurrents pourrait l’arranger. Cela pourrait être une coïncidence, bien sûr. Mais notre récit suggère que le nouveau monde des rappeurs et influenceurs ressemble étrangement à l’ancien.