Ils étaient deux voix. Deux chants qui s’élevaient vers les cieux en plongeant au plus profond de leur âme. Les frères Dagar, un nom bien connu de tous les amoureux de musique hindoustanie, surent comme trop peu conjuguer sentiment de rigueur et improvisations hors du commun, deux qualités paradoxales qui vont durablement marquer les esprits mélomanes plutôt à l’Ouest des musiques indiennes. Il faut écouter l’ultime ascension de Coltrane comme les ascétiques apnées d’un La Monte Young pour mesurer combien l’écho des Dagar eut des répercussions sur les innovateurs de l’autre rive du monde. Jusqu’alors seul Ravi Shankar, future icône pop, établit un premier crossover entre ces deux entendements du monde. Mais avec Nasir Moinuddin et Nasir Aminuddin Dagar, l’oreille s’ouvrait tout autrement. Tant et si bien qu’un musicien comme Don Cherry partit en 1974 étudier auprès d’Ustad Zia Mohiuddin Dagar, grand maître de la rudra vina. «De puissants improvisateurs capables de suivre toute mélodie tout en pouvant s’en écarter d’une subtile inflexion», se souvenait-il à l’hiver de sa vie.
Dix ans avant que l’esthète trompettiste ne franchisse le Gange, les aînés des Dagar – deux autres frères, tout aussi envoûtants, s’illustreront dans leurs traces par la suite – se produisaient pour la première fois en Europe à l’initiative d’Alain Daniélou, musicologue