On est en en 1973, peu après minuit. La guerre du Vietnam fait rage et Nixon ment effrontément à l’Amérique quand le violoniste David Harrington tombe, à la radio, sur Black Angels, le quatuor électrifié de George Crumb. Il vient, à 24 ans, de découvrir sa vocation : rechercher et partager, avec ses compatriotes et bientôt la planète, la création musicale de son temps. Cinquante ans plus tard, le Kronos Quartet qu’il a fondé à Seattle et qui est basé, depuis 1977, à San Francisco n’est toujours pas le meilleur dans Beethoven et dans Schubert ; il y a les Prazak, les Takács et les Talich pour cela. Mais c’est le plus original, par son répertoire et par sa politique de commande d’un bon millier de pièces à des compositeurs américains, africains, chinois, suédois, iraniens, libanais, indiens… pour la plupart inconnus du public.
Après avoir joué dans la rue, les églises, les lycées, les musées et les ferrys, les Kronos sont devenus une institution qui se produit aujourd’hui dans des salles prestigieuses, comme le Carnegie Hall de New York, et dont les enregistrements, à commencer par celui de Different Trains que Steve Reich a composé pour eux, ont obtenu moult récompenses internationales dont trois grammy awards. Si l’altiste Hank Dutt et le second violon John Sherba sont fidèles au poste depuis 1978, David Harrington a dû remplacer son violoncelliste, à plusieurs reprises, mais n’a jamais perdu la foi en la jeunesse ni en l’avenir, même lorsque le destin lui a cruellement dérobé un fils.
Alors qu’il pourrait se contenter de jouer des œuvres de Moondog et de Michael Gordon, matière des deux derniers albums de son quatuor, ou celles gravées pour les BO de Heat de Michael Mann ou de Requiem For A Dream de Darren Aronofsky, il a voulu que ce cinquantième anniversaire célèbre la diversité et la pédagogie. Tout d’abord en mettant en ligne, sous l’intitulé «50 for the Future», cinquante œuvres commandées et interprétées par l’ensemble, avec les fichiers sons et les partitions correspondants. Puis en les donnant durant une tournée mondiale qui passe, en France, par la Philharmonie de Paris, dont les Kronos ouvriront la onzième Biennale de quatuors à cordes avec des concerts et des masterclass publiques, avant de rallier l’Auditorium de Lyon.
Occasion de réentendre des jalons importants de leur histoire, signés George Crumb, Philip Glass, Steve Reich, Terry Riley et Krzysztof Penderecki mais également de découvrir des arrangements de compositions d’Angélique Kidjo, de Hawa Kassé Mady Diabaté, de Sun Ra, ainsi que les créations françaises de pièces de Mariana Sadovska, d’Aleksandra Vrebalov, de Trey Spruance, et de Gabriella Smith, «les Mozart, les Schubert et les Hendrix de demain», comme aime à le penser cet infatigable défricheur.