Il faut imaginer ce qui se passe dans l’organisme d’un auditeur de rap français qui découvre, à la veille de l’an 2000, les Princes de la ville, premier album du 113, cette intro qui débouche sur Ouais gros et son sample accéléré de Kraftwerk collé sur une espèce de breakbeat haletant. Ça va trop vite, le beat est comme perpétuellement en train de se prendre les pieds dans le tapis, les cordes vous cassent la tête, en trois mots : c’est fou. Parce qu’à ce moment-là, ce qui prédomine très largement dans le rap français, c’est le boom bap, un type de beat bien carré qui s’apprécie bras croisés en hochant la tête d’un air grave – il suffit de réécouter les contemporains du 113, Scred Connexion, Salif, La Cliqua, La Brigade, 3e Œil et leur célèbre Hymne à la racaille sorti la même année… Tous singuliers mais tous comme chevillés sur le même type de rythmique.
Dans ce contexte, un Ouais gros ne peut provoquer que des réactions épidermiques, possiblement le rejet, l’irritation, non mais c’est quoi ce truc, possiblement aussi une envie incontrôlable d’y revenir. Le succès commercial de l’album les Princes de la ville prouvera au 113 qu’il avait eu mille fois raison de collaborer avec DJ Mehdi, compositeur et sampleur de génie dont le trio de Vitry récupérait systématiquement «toutes les prods que les autres rappeurs ne voulaient pas», les bizarres, les bancales.
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