Menu
Libération
On y croit

Eesah Yasuke, rap et réparation

En se nourrissant de son parcours tourmenté, la rappeuse nordiste livre un premier album en forme de salut. Et laisse présager d’un bel avenir sonore habité par la notion de guérison.
«B.O. d’une vie», premier album pour la nordiste Eesah Yasuke. (Moos Coulibaly)
par Brice Miclet
publié le 14 décembre 2024 à 11h24

La vie d’Eesah Yasuke est faite d’affres et de souffrances. Et si présenter son premier album, intitulé B.O. d’une vie, à l’aune de ce triste constat peut sembler réducteur, on comprend à son écoute que cette thématique en est en fait la genèse, le fil rouge et l’inspiration majeure. La rappeuse et chanteuse roubaisienne aux trois EP remarqués voit cette fois les choses en plus grand, en plus sombre aussi, racontant sans détour les difficultés endurées et assénant des phrases qu’elle aurait certainement eu envie que quelqu’un lui dise lorsqu’elle était au fond du trou. En cela, ce disque sinueux n’a rien d’une œuvre thérapeutique, il relève plutôt de l’expiation et du salut. Car un autre grand thème se greffe aux maux, celui de la foi, l’obsession d’être sauvée «avant de rejoindre le Christ», sans jamais s’abandonner à la bigoterie. Eesah Yasuke est bien trop habile pour tomber dans ce piège. Son évident talent d’écriture a sans doute été nourri par sa carrière pluri-artistique – elle est également peintre – et peut-être aussi un peu de son mentor Sako, grand rappeur cannois et ancienne moitié du groupe Chiens de Paille, qui savait lui aussi décrire avec brio les pires angoisses existentielles.

Pour conter cette B.O. d’une vie, le rap, bien que présent, était sans doute un univers trop étroit. La musicienne s’aventure alors dans des recoins sonores presque cosmiques, susurre ici, crie là, et peut tout aussi bien être soutenue par un sample de la Chevauchée des Walkyries sur Hara Kiri, ou par celui d’un chant gospel incantatoire sur Alright, en featuring avec Youssoupha. Avec cette production oscillant entre le mystère, le martial et le spirituel, elle crée un premier album sacrément sophistiqué et justifiant la moindre complexité, fruit d’un long parcours de guérison. Dans sa vie comme dans sa musique, rien n’est gratuit, rien n’est feint.

Eesah Yasuke B.O d’une vie (Blessing Production)

Vous aimerez aussi

Laylow Trinity (2020)

Classique moderne du rap français, il érige également les ambiances bioniques et les performances vocales cinématographiques en socle sonore fascinant.

Lous and The Yakuza Gore (2020)

Dans l’écriture et les passages chantés, Lous et Eesah partagent un goût commun de la violence régissant parfois l’intimité. Et se foutent éperdument des codes musicaux.

Casey Tragédie d’une trajectoire (2006)

Le rap français a rarement su saisir avec autant de clarté les problématiques liées à l’identité. L’album est la bande originale d’une autre vie malmenée.