Cet article a été publié en partenariat avec le festival Nuits sonores.

A ma droite, Sonny John Moore dit Skrillex, VIP du gratin mainstream américain frayant avec Justin Bieber, ex-chanteur d’un groupe emo metal devenu fer de lance du genre de dance music le plus cringe et controversé de ces 20 dernières années, le brostep. Souvenez-vous, Rock’n’Roll, les ados emo en hoodie noir et fluo qui se filmaient en train de perdre les pédales au moment du drop, les débats à n’en plus finir sur l’appropriation par ces gobeurs de hamburgers et de molly du dubstep, auguste émanation musicale anglaise enracinée dans trois décennies de culture sound system, l’angoisse d’entendre littéralement le son de la fin de l’Occident dans une déflagration de hurlements électroniques. Puis Moore a grandi, sa musique est devenue presque normale au fur et à mesure que le monde entier mutait en une dystopie saturée d’infos et de couleurs criardes qui lui ressemblait de plus en plus.

A ma gauche, Autechre, duo anglais vétéran d’une musique électronique infiniment innovante et profonde, qui fonce depuis trente-cinq ans pour révéler au monde une terra incognita saisissante de beauté et d’étrangeté sans se soucier de tout ce qui survient et s’agite à côté. Seuls dans leur royaume, plus que jamais, Sean Booth et Rob Brown sont désormais des icônes, baroudeurs d’une musique électronique définie par la pleine attention aux splendeurs qu’elle offre à celui qui se donne la peine de partir à l’aventure. Qu’est-ce qui unit les deux cariatides ? Elles se produisent toutes deux à Nuits sonores, 21e du nom. Et l’abysse qui les sépare n’en est pas une puisqu’elle est remplie à ras bord de toute la musique du monde – théorie à prendre ou à laisser qui a le mérite de nous plaire, un peu, beaucoup, passionnément.