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Libération
L'édito d'Olivier Lamm

Françoise Hardy, étoile distante

Chercheuse insatiable de mélodies inoubliables, la chanteuse prospectrice des amours impossibles est morte à 80 ans, a annoncé son fils mardi 11 juin. Elle restera un mystère dans nos vies.
Françoise Hardy le 26 novembre 1970. (Photothèque Lecoeuvre/Collection Christophel via AFP)
publié le 12 juin 2024 à 18h04

Son plus grand disque, aux yeux des obsédés de musique à travers le monde, était et restera la Question. Disque clair obscur de 1971, idéalement titré à l’heure où Françoise Hardy se cherchait, vagabondant jusqu’au Brésil pour s’immerger dans les autres hauts lieux de la chanson populaire. Invitée à participer au Festival international de la chanson populaire de Rio, elle allait concourir aux côtés d’Antoine en chantant A quoi ça sert ? mais surtout rapporter dans sa valise l’idée d’une nouvelle musique, d’une nouvelle incarnation pour son futur incertain. Composé avec l’exilée carioca Tuca, clos par une reprise poignante de l’A Transa de Taiguara («Rêve»), la Question, album immensément subtil et sophistiqué et trésor d’une chanson élevée au rang des beaux-arts, changera le monde de la musique jusqu’au Japon et Brésil, mais fera un bide commercial en France, engageant Hardy – pas commode, surtout pas avec elle-même – à prendre ses distances avec le disque et celle qu’elle était en le faisant.

Est-ce qu’elle nous défiait vraiment sur la photo de la pochette, menton relevé et esquisse de sourire glacial ? C’est le premier auquel on a pensé à revenir pourtant en apprenant sa disparition, convaincu qu’au fond cette chercheuse insatiable de grand art populaire et de la mélodie inoubliable l’aimait autant que nous. On se souvient de cette «question sans réponse» qu’elle posait de sa voix pleine de souffle dans la chanson titre, dont elle avait signé les mots d’une rare intensité. Prospectrice des amours impossibles, Hardy était un mystère dans nos vies, une énigme dont on se demande comme elle s’y prenait pour provoquer, tant et tant, le chavirement de nos cœurs. Sans doute qu’elle était – dans ses chansons – la pop star que toutes les autres célébrités de notre paysage avaient échoué à devenir, omniprésente et insaisissable, intime et distante, prodige irréfutable dont le prodige justement était, demeure, indescriptible. Qu’est-ce qui nous liait à Hardy ? Dans Message personnel, elle nous vouvoyait et nous tutoyait de concert – «je ne peux pas vous dire que je t’aime, peut-être» – et ça, on ne s’en remettra jamais.