Gazo a des choses à nous dire, et à l’entendre, il a «un peu plus pris le temps», cette fois-ci, par rapport à sa première mixtape, Drill Fr, sortie il y a un peu moins d’un an et demi. A quoi au juste a-t-il consacré tout ce temps ? A agrandir sa collection de bobs Gucci et de featurings de marque, sans aucun doute, mais pas à affûter son écriture, hélas. Il y avait pourtant quelque chose d’excitant quand le gaillard était sorti du bois fin 2019 avec sa nouvelle identité, après plusieurs années à vasouiller dans le rap game sous le nom de Bramsou, fraîchement rebaptisé Gazo et investi d’une mission de VRP français de la drill.
Mitraillette avec la bouche
A ce moment, cela faisait près de dix ans que les premiers soubresauts de ce dérivé de la trap avaient commencé à secouer les quartiers sud de Chicago. Textes violents, histoires de gangs et clips sans chichis bourrés d’armes à feu s’y collent à une rythmique nerveuse et chaloupée enrichie en caisses claires, héritage de styles musicaux caribéens. En transitant par l’Angleterre et sa météo capricieuse, le genre s’affuble de nouveaux codes vestimentaires : doudoune en toutes circonstances (magnifiquement ironisée par Big Shaq dans Man’s Not Hot – «le mec n’a pas chaud»), cagoule, gants et, à la main, plutôt un couteau qu’une arme à feu, législation britannique oblige.
En 2019, Gazo a bien étudié le sujet et se coule dans le genre comme si c’était le sien, adaptant son flow avec une immense souplesse et le truffant comme il se doit de bruits de mitraillette avec la bouche. Surtout, il a l’intelligence de titrer un morceau Drill Fr à un moment où le genre arrive en France et où nombreux seront les curieux à taper le terme dans leur barre de recherche. La magie du référencement opère et le clip devient le premier succès du rappeur. Il réitère : il y aura Drill Fr 2, puis 3 et ainsi de suite. Le 4 surtout est un coup de maître, en featuring avec Freeze Corleone, truffé de punchlines bien senties et assorti d’un clip jouissif tourné en partie dans une pharmacie, où les deux compères friands de produits codéinés font leur marché en blouse blanche. Le refrain, totalement bas du front mais irrésistible, exhorte : «Téma la kichta ! Téma la taille d’la kichta !», c’est-à-dire «regarde la taille de la liasse», et effectivement, elle est impressionnante, la quantité de billets de 50 euros que le gars est capable d’empiler sur son avant-bras.
Un océan de ressassement
Le problème, c’est qu’à force de reproduire une recette qui a déjà fait ses preuves, ça finit par se voir. Pop Smoke, sommité de la drill new-yorkaise assassiné en février 2020, a fait un tube avec Dior ? Gazo mise tout sur une autre marque de luxe et sort, le mois dernier, Celine 3x. Le morceau est puissant et contient environ 90 % des bonnes idées de tout l’album, dont ce sublime «Ton cavu, un ordi qui a beaucoup de débit, mon goro est en mode AZERTY» (cavu = postérieur, goro = pénis). Le reste du temps (quinze pistes tout de même), on rame dans un océan de ressassement où tout n’est qu’histoires de liasses, de liasses et encore de liasses. Les allusions à la vie de dealer pointent à tous les coins de mesures mais sans jamais rien dire d’autre que : j’ai dealé, je suis armé, des gens m’ont trahi – comme si ce seul fait se suffisait à lui-même, sans jamais être développé. Il y a bien quelques histoires d’ex et quelques drames, des échappées sentimentales posées sur de belles instrus éthérées qui intriguent d’abord, mais se perdent en longueurs fumeuses et finissent par lasser à force de retomber inlassablement sur le plancher de la «guedro» et des «liasses». Pour le bien de ses textes mais aussi de ses partenaires sexuelles, qu’il «n’arrive même plus à guédra» parce que «trop défoncé», on ne saurait que trop recommander à Gazo de mettre la pédale douce sur les substances.