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Libération
On y croit

Gringe, la déprime combative

Six ans après un premier album solo, l’ex de Casseurs Flowteurs, acteur et écrivain, fait son grand retour musical. Excellente idée.
Gringe revient avec un nouvel album solo, «Hypersensible». (Deborah Corcos)
publié le 28 septembre 2024 à 15h27

Gringe reste dur à anticiper. A force de le voir se multiplier sur écrans (notamment formidable en acteur dans la série De grâce, sur Arte), réussir brillamment son incursion littéraire (Ensemble, on aboie en silence, roman vendu à plus de 85 000 exemplaires) – tout ça au milieu de fréquents épisodes dépressifs ou de retranchement – on avait fini par acter que ce beau ténébreux n’envisageait pas de renouer de sitôt avec rimes et micro. Lui-même n’avait pas planifié la transformation de l’essai Enfant lune, premier projet solo en 2018 à l’introspection réparatrice. Six ans plus tard, il a finalement succombé à l’attraction heureuse des rencontres. De sa complicité immédiate avec Tigri, producteur de vingt-cinq ans formé à la Berklee Shool of Music de Boston, jaillit ici des instrumentations élastiques, jouant aux reflets en clair-obscur, carrées comme les épaules de Léon Marchand.

Hypersensible est un disque de reconnexion au monde qui fait des allers-retours entre l’intériorité et l’extériorité et dont les titres fonctionnent régulièrement en binôme par leur thématique. Percutant dans sa visée politique et conscience collective, à l’image du diptyque Du plomb /Effet de surplomb né d’une réaction épidermique à la suite de la mort du jeune Nahel et du durcissement de la répression («Gardiens d’la paix parlent de violences légitimes /Moi j’connais personne de BRAV qui frappent à bâtons rompus»). Noirceur et ouverture vers la lumière se tirent la bourre au sein de percées libératrices dans lesquels Gringe invite la voix cristalline du jeune Saan (Corde sensible), se lance dans un pamphlet contre le milieu artistique (Fake ID), use de l’ego-trip enfumé (Xan), dresse un hommage cryptique au chanteur Christophe (Couler des jours heureux). Révérences, encore, à l’urgence de vivre traversant le film de Cyril Collard (Nuits fauves) ou des rappeurs à l’origine de son cheminement (Boomer). Retrouvailles attendues, enfin, avec Orelsan son compère de Casseurs Flowters pour un morceau (Feelings) à double détente. Et cette combinaison du yin et du yang fonctionne toujours à merveille.

Gringe Hypersensible (3e Bureau)

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