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Plus vite que la musique

Kcidy, Kali Uchis, 21 Savage… Qu’est-ce qu’on écoute cette semaine ?

Pop, rock, musiques électroniques… Chaque semaine, «Libé» vous aide à vous y retrouver dans l’actu des sorties.
(DR)
publié le 18 janvier 2024 à 20h37

Kcidy Quelque chose de bien (Vietnam)

Les groupes qu’on aime finissent souvent par se séparer, c’est la vie, mais la peine a été grande de voir Tôle Froide se dissoudre en 2020. Si Julie Doucet était une musique, elle aurait très certainement été celle de ce trio punk lyonnais de meufs basse-synthé-voix qui chantait aussi bien les chutes du Niagara de ses ragnagnas que des coups de matraque dans la tête de Gérard Collomb (prends en de la graine, Izia). Heureusement, Pauline Le Caignec, sa chanteuse-mais-pas-que puisqu’elle est autrice-compositrice et multi-instrumentiste particulièrement finaude au piano, a continué de faire grandir le projet solo qu’elle menait en parallèle sous le nom de Kcidy.

Depuis ses débuts en anglais, colorés de garage (Lost in Space, 2017), cette artiste curieuse et aventureuse s’est essayée à la composition collective avec des inconnus (Kcidy a dit, 2019) avant de trouver une place de choix chez Vietnam pour son premier album purement pop en 2021. Dans les Gens heureux, joyau d’inspiration sixties, Kcidy papillonnait avec une aisance totale entre Stereolab et Bach, tournée vers la lumière, des mélodies toujours étonnantes aux lèvres, remarquable arrangeuse. Trois ans plus tard, le registre musical reste le même mais s’est allégé de bon nombre de fioritures pour célébrer la vie intime – pas ces «petits riens» de la chanson française en salon bourgeois, mais le quotidien, le vrai, avoir froid aux genoux, ne pas arriver à dormir parce qu’on a une chanson en tête, faire un enfant, et tout un tas de petites découvertes et d’émotions ordinaires que la chanteuse retranscrit sans jamais les faire plus grosses qu’elles ne sont. «J’ai fait le tour de la question, cherché toutes les partitions, chante-t-elle un sourire aux lèvres, j’ai même écouté tous les tubes de l’été /Mais toutes les chansons du monde ne suffiront pas à décrire l’amour que j’ai pour toi.» Chez Kcidy, tout, absolument tout est matière à chanson, même l’incapacité d’en faire une. Marie Klock

Geri Allen & Kurt Rosenwinkel A Lovesome Thing (Motéma)

C’est peu dire que Geri Allen, décédée en 2017, nous manque. Tout chez elle respirait l’élégance, une quintessence du jazz que la native de Pontiac, dans le Michigan, n’aura cessé d’illustrer, actrice dans le Kansas City de Altman comme auprès de Ornette Coleman. C’est donc un réel plaisir que de retrouver la pianiste dans une formule qui justement en revient à cette longue histoire : associée au guitariste Kurt Rosenwinkel, elle relie avec la classe qu’on lui savait trois standards, Embraceable You, Ruby, My Dear et A Lovesome Thing, auxquels s’ajoutent deux compositions, une chacun, raccord avec le sujet. C’était le 5 septembre 2012 à la Cité de la musique de Paris, ce fut la première fois qu’ils jouaient en tête à tête, sans avoir répété, et ce sera la dernière. Et pourtant ce duo d’un soir sonnait la plus belle évidence, au cœur de cet instant magique qui fait toute la vivacité du jazz. Jacques Denis

Minnesota Orchestra, dir. Osmo Vänskä Gustav Mahler : Symphony N°8 (Bis)

Equilibrer les masses instrumentales et chorales de la huitième de Mahler est toujours un exploit. Après Solti, Kubelik (en live à Munich), Bernstein, Tennstedt, Gielen, Boulez et Bertini, Osmo Vänskä subjugue avec l’orchestre du Minnesota, qui fut dirigé autrefois par des titans comme Ormandy, Doráti et Skrowaczewski. Difficile de croire que cette performance, d’une unité stylistique et d’une transparence sonore stupéfiantes, a été captée en concert. Quel dommage, après cela, que Barry Banks n’ait pas la carrure et le métal d’un Heldentenor d’autant que Carolyn Sampson tient son rang face à la Lucia Popp de Solti et la Julia Varady du live à Tokyo de Bertini qui reste, du coup, la référence moderne. Eric Dahan

Kali Uchis Orquídeas (Universal)

Chez certains poids lourds de la pop, la multitude d’artisans à l’œuvre dans les coulisses des hits se dilue dans ce supplément d’on-se-sait-quoi de leur interprète. Le nouvel album de Kali Uchis ne parvient malheureusement pas à faire oublier qu’il est le fruit de dizaines de cerveaux experts au service d’une très jouissive bêtise. Sous un grand chapeau «latino», Orquídeas sert un peu de tout, reggaeton, salsa, r’n’b, hybridés jusqu’à la nausée, avec le concours des bons collaborateurs (fidèles de Beyoncé, Rosalía, Selena Gomez, Justin Bieber…), des bons feats (Karol G, Rauw Alejandro, au top de la pop hispanophone) et d’une annonce de grossesse opportunément casée, clip suintant de mièvrerie à l’appui (Tu Corazón Es Mio), la veille de la sortie de cet album qui ne s’élève jamais vraiment au-delà de l’héritage qu’il prétend réinterpréter. M.K.

21 Savage American Dream (Sony)

Entre l’ego trip et le récit édifiant, la ligne est fine et il suffit souvent d’une paire d’années pour que les rappeurs passent de l’un à l’autre – le temps, par exemple, de se laisser gagner par l’empathie. L’american dream qui donne son titre au troisième long de 21 Savage d’ailleurs est celui de sa mère, Heather Carmilla Joseph, Dominicaine émigrée au Royaume-Uni, où Shéyaa bin Abraham-Joseph a passé son enfance, et endeuillée trop tôt par la mort de son fils assassiné en prison. Sans se laisser trop appesantir par la gravité, 21, rappeur éblouissant, met en scène un dialogue entre son moi de 31 ans et le petit con qui dealait à 14 et fait un beau disque d’espérance, gorgé de soul et de pianos tristes, comme un petit frère trap (Metro Boomin ou London on da Track un peu partout aux crédits) et deep de The Blueprint de Jay-Z. Disque en demi-teinte, mais nourrissant. Olivier Lamm

Sleater-Kinney Little Rope (Loma Vista)

Comment aborder le 11e album d’un groupe qui a, par le passé, beaucoup compté ? Faut-il le considérer désavantageusement à l’aune des chefs-d’œuvre que furent Call the Doctor et Dig Me Out, disques vitaux, qui provoquèrent bien des vocations et des libérations ? Ou au contraire saluer l’endurance, la capacité à se renouveler (ce virage vers une pop ultra-produite, entamé sur The Center Won’t Hold en 2019, étonnante réussite), quand bien même tout ça interviendrait dans un contexte diminué (le départ de la batteuse originelle Janet Weiss) ? Ou bien juste prendre Little Rope pour ce qu’il est, à savoir une collection de chansons ternes jouées par ce qui fut jadis un des plus fabuleux groupes du nord-ouest des Etats-Unis, uniquement enregistrées pour justifier dix-huit mois de tournée ? Lelo Jimmy Batista

Photek Modus Operandi (Proper)

A l’instar du Homework de Daft Punk sorti plus tôt la même année 1997, Modus Operandi de Photek fut attendu comme le messie. Comme le premier album de Daft Punk, le premier album de Rupert Parkes fut un classique instantané. Il faut dire que l’Anglais avait taffé très dur les années d’avant, enchaînant sous divers pseudos (Studio Pressure, Special Forces…) le run de maxis le plus ahurissant, en invention et en qualité, de la galaxie jungle/drum’n’bass. Surpassant les espoirs, Modus Operandi fut le digne Meisterwerk d’un artiste qui marchait sur l’eau, prototype d’une jungle à l’os et hyper sophistiquée, glaciale et amoureuse, ésotérique mais jamais absconse dont chaque mesure tenait de l’évidence autant que du jamais-entendu. Vingt-six ans plus tard, le disque n’a pas pris une ridule et sa ressortie en triple vinyle est l’occasion idéale de s’en souvenir ou de se rattraper. O.L.