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Libération
Plus vite que la musique

La Bibliothèque de la Bergerie, Sofiane Pamart, Sampha... A écouter cette semaine

Pop, rock, musiques électroniques… Chaque semaine, «Libé» vous aide à vous y retrouver dans l’actu des sorties musicales.
(DR)
publié le 27 octobre 2023 à 6h58

La Bibliothèque de la Bergerie (Freaksville Records)

Bibliothèque, en anglais «library», un faux ami qui possède aussi une cousine, la «Library Music», ces disques d’illustrations sonores où se sont, justement, illustrés grands et petits maîtres anglais, italiens, français et allemands des années 60 jusqu’aux années 80, provoquant depuis des descentes d’organes chez les amateurs du genre lorsqu’ils en découvrent les prix parfois exorbitants sur Discogs. La Bibliothèque de la bergerie est donc un hommage à ces musiques pétulantes, pointilleuses et savantes comme aux soundtracks des mêmes glorieuses époques et à leurs résonances nombreuses dans la pop rétrofuturiste des Stereolab, Broadcast ou High Llamas. C’est Emmanuel Mario, alias Astrobal, musicien et producteur français cosmico-poétique, et sa compagne chanteuse Nina Savary qui reçoivent dans leur bergerie du sud de la France, à la cool, deux camarades de jeu, Julien Gasc (Aquaserge, entre autres) et Vincent Guyot (alias Pieuvre), pour cette dérive immobile dans les lieux que leurs imaginaires ont recréés à force d’absorber depuis l’enfance les musiques de François de Roubaix, de Vladimir Cosma, de Alessandro Alessandroni ou de Mort Garson. Il y a assurément plus de style que d’exercices dans cette évocation certes ultra-référencée mais jamais mortifère, qui joue à plein sur les thèmes obsédants et les décoctions instrumentales électro-acoustiques parfois nimbées de chœurs. A l’image du remarquable Expo Botanica du stakhanoviste libanais Charif Megarbane sous le nom Cosmic Analog Ensemble, paru l’an dernier, cet exotisme des paradis perdus, avec ses tampons de passeports illusoires (Tous à Zanzibar, Terminus Tel-Aviv) et ses intrigues fantasmées (l’Homme qui n’existait pas, le Voyageur de l’inconnu) procurent au métier de faussaire de nouvelles lettres de noblesse, correspondances tardives avec les lettres mortes qui scellèrent longtemps le sort de ces musiques émerveillées. Christophe Conte

Evian Christ, Revanchist (Warp)

Vous aimeriez savoir quel son fait une cathédrale de glace dynamitée par un type en survêtement satiné et baskets phosphorescentes ? Vous aimez le drone metal et l’eurodance ? La drum & bass et les Cocteau Twins ? Vous seriez tenté par un remix trance des Cranberries ou un duo entre Burial et Enya ? Alors voilà votre disque de l’année. Avec son premier album, le producteur anglais Evian Christ a tout simplement réussi à faire avec le chaos et la sérénité, le fouet et la caresse, le raffinement et le mauvais goût, ce que Primal Scream a fait il y a trente ans avec le rock et la dance music : un mélange cohérent, fluide et inédit. Où s’entrechoquent dans une ambiance de blizzard épique les aspects les plus excitants et repoussants de la production électronique passée, présente et future. Abject, grotesque, hallucinant – et absolument sublime. Lelo Jimmy Batista

Sofiane Pamart, Noche (Pias)

Il en faut, des cojones, pour oser écrire en lettres gaufrées, dans les crédits de son CD, «Talent : Sofiane Pamart». Le talent indéniable de Sofiane Pamart, c’est celui de la communication, ou plutôt du martèlement : à force de répéter qu’il est «le roi du piano», assez de personnes ont fini par y croire pour permettre à cet accompagnateur plus que décent de Scylla et autres rappeurs de commettre trois albums solos. Après Planet et Letter, pas de surprise dans Noche, la soupe est toujours la même, servie cette fois dans un bol qui n’a de latino-américain que trois clichés harmoniques pompés sur Piazzolla et avec lesquels, plutôt que de se fatiguer à composer, notre génie semi-improvise avec autant de bravoure que n’importe quel crackhead ânonnant la Valse d’Amélie sur un piano SNCF. Marie Klock

Reverend Kristin Michael Hayter, Saved (Perpetual Flame Ministries)

«Je ne peux plus continuer à faire ça», implorait Kristin Hayter en ouverture de Sinner Get Ready, quatrième et ultime album de Lingua Ignota, projet avec lequel elle a conjuré ses plus innommables tourments – jusqu’à épuisement. Après avoir annoncé l’an dernier abandonner ce nom et ces compositions devenus trop douloureux à porter, la musicienne de Rhode Island repart à zéro sous le nom de Reverend Kristin Michael Hayter. Exit les grandes orgues et les ambiances de caveau interdit, Hayter aborde ici deux pistes esquissées sur la fin de Lingua Ignota : télévangélisme en milieu rural et musique folklorique des Appalaches. Et donne naissance à un disque âpre, entre country occulte et scansions apocalyptiques, dont l’esthétique heurtée, pleine de ratures et coupures abruptes, lui donnent des airs de cassette éditée par une congrégation de rebouteux aveugles du fin fond de la Pennsylvanie. Lelo Jimmy Batista

African Jazz Roots, Seetu (PeeWee /Socadisc)

African Jazz Roots, c’est une aventure débutée un peu par hasard en 2009 à Saint-Louis du Sénégal. Quatorze ans et trois disques plus tard, l’histoire se poursuit entre le joueur de kora Ablaye Cissoko et le batteur Simon Goubert, dont chaque chapitre témoigne du sens de l’écoute. Et d’une entente qui permet d’aller au-delà de la rencontre pour aboutir à un répertoire original – même la paire de traditionnels arrangés par le Sénégalais sonne ainsi –, à commencer par le thème aux tournures coltraniennes qui ouvre cet album. Le piano de Sophia Domancich, qui a rejoint cette aventure entre-temps – tout comme le contrebassiste Jean-Philippe Viret et «Ibou» à la calebasse – n’est pas pour rien dans cet épanouissement, à l’image de la ballade qu’elle signe, la Langue de barbarie, en référence à cette bande de terre à Saint-Louis du Sénégal. Jacques Denis

Sampha, Lahai (Young)

Après avoir exploré le deuil de ses parents sur son premier album Process en 2017, et collaboré avec la terre entière (Kendrick Lamar, Frank Ocean, Solange…), Sampha est comme extatique. Le second album du Londonien respire la joie de vivre, est hanté par une forme de volupté qui réchauffe les cœurs. Car c’est cette fois la naissance de sa fille qui nourrit Lahai, sur lequel le chanteur-producteur apparaît comme subjugué par l’amour reçu, sans tomber dans le gnangnan, en enveloppant ces prétendues hallucinations dans un nuage électronique chaleureux, beau. Un peu comme un couffin. Cet album regorge d’idées simples et maîtrisées. Mais il porte aussi le souvenir des disparus, symbolisés par ses nombreux samples de voix triturés, découpés, sonnant comme des interférences, des présences bienveillantes. Plus abouti que son prédécesseur, il justifie aisément ces six années d’attente. Brice Miclet

György Ligeti. «Kammerkonzert & other works», les Siècles, F.-X. Roth (Harmonia Mundi)

Il y a centans, naissait le compositeur le plus important de l’avant-garde européenne du XXe siècle : György Ligeti. Ce live des Siècles, paru en 2016 et qui vient d’être remastérisé, rappelle son génie du timbre, de la polyphonie et du temps musical. Certes les Carion danois sont bien plus incisifs, brillants et poètes, dans les Six Bagatelles pour quintette à vent, et Boulez a livré une gravure d’anthologie du Concerto de chambre mais, en attendant l’intégrale de ses concertos par l’Ensemble Intercontemporain, repoussée à 2024, ce bouquet de chefs-d’œuvre, comprenant également ses Dix pièces pour quintette à vent, ressurgit idéalement pour lui rendre hommage. Eric Dahan