«Aujourd’hui, nous disons au revoir à Roberta Flack. Elle était un talent unique nous ayant apporté des chansons qui ont imprégné notre culture et qui continueront d’inspirer et de toucher le cœur des gens pendant les décennies à venir.» Ce message posté par Damon Locks, tête chercheuse de la musique afro-américaine, témoigne de l’importance de la chanteuse, dont on a appris la mort ce lundi 24 février alors qu’elle venait de fêter voici tout juste deux semaines ses 88 ans. La chanteuse souffrait ses dernières années de la maladie de Charcot.
Le Chicagoan ne fut pas le seul expérimentateur de la «nouvelle» génération à aller puiser chez celle qui était née le 10 février 1937, à Black Mountain (Caroline du Nord). A l’autre bout des Etats-Unis, en Californie, le petit prodige Flying Lotus a produit un titre baptisé tout simplement RobertaFlack tandis que le prince de la nu soul D’Angelo fit sienne une de ses chansons iconiques, Feel Like Makin Love. Quant au cultissime Dwight Trible, chantre d’un jazz cosmique, il reprenait encore en 2017 Tryin Times, avec le trompettiste Matthew Halsall.
Ecrit par Donny Hathaway avec qui elle formera bientôt l’un des duos marquants de l’histoire de la soul, ce titre, aux confins du blues et aux entournures très revendicatif, Roberta Flack l’enregistra pour son premier album, First Take, publié en 1969. Elle était signée sur Atlantic un an plus tôt, à 30 ans révolus, elle qui fut pourtant une élève surdouée, grandissant aux sons de l’Eglise méthodiste, tout en apprenant le piano dès ses 5 ans et le chant classique. Mais plutôt que de faire carrière, la jeune femme d’extraction modeste choisit la voie plus sûre de l’enseignement, son premier job, avant d’être remarquée par de nombreux pros lorsqu’elle chante dans un club de Washington.
Ballade tout cool
Il lui faudra encore patienter trois ans avant d’accéder enfin au sommet : The First Time Ever I Saw Your Face, intronisé single après avoir été choisi par Clint Eastwood pour la bande originale de son premier film, Un frisson dans la nuit, la couronne, triomphant même d’Aretha Franklin, la reine de la soul. En 1972, cette ballade tout cool sera le single le plus vendu aux Etats-Unis, lui permettant de remporter ses deux premiers grammy dans la foulée : disque de l’année et chanson de l’année. Rebelote l’année d’après avec Killing Me Softly With His Song, numéro 1 aux Etats-Unis cinq semaines durant et comptant toujours des centaines de millions de streams, un succès sans doute porté par la version réalisée par les Fugees.
Une chose est sûre : Roberta Flack aura marqué toutes les esthétiques ou presque qui composent la Great Black Music, à commencer par le jazz. Ecoutez-la quand elle s’attaque à Compared to What, un diapason en introduction de toute sa carrière. Au fil du temps, elle fut d’ailleurs associée au pianiste Les McCann, l’homme qui fut le go-between pour Atlantic, au bassiste Ron Carter, aux baguettes de Grady Tate ou encore aux manettes de Mtume. Pourtant, au terme des années 70, son aura va pâlir, pâtissant de choix artistiques qui l’orientent vers un crossover de plus en plus classique. Bien loin de sa sublime version, arrangée par Deodato, de Bridge Over Troubled Water, extraite de son bien nommé album Quiet Fire de 1971, qui valut les éloges d’un futur grand, Elton John : «Chère Roberta, je n’ai jamais rien entendu d’aussi beau depuis des années…»
Mis à jour le 25 février à 12h20 avec les précisions de notre journaliste.