C’était la fin de l’été, quand l’air était lourd, chargé d’une touffeur presque irrespirable, et un Will Oldham en sueur courait avec une exaltation de gosse sur les pentes vénéneuses qui bordent le fleuve Ohio, lancé aux trousses d’une harde de dindons sauvages. Ou du moins fallait-il le croire sur parole, alors qu’on crapahutait à sa suite dans les fourrés, puisque, de la procession de volatiles gras et farouches dont il nous dépeignait l’incessante fuite à notre approche, on n’aura pas même discerné la queue. De là, un embarras dont on n’a pas su se défaire depuis, à force de n’y rien voir, faute peut-être de regarder comme il faut. A moins, bien sûr, que le même qui raillait un instant plus tôt ces fables tirées du fleuve, dont sont bercés les gosses du coin sans savoir qu’en faire, à base de «poissons-chats de la taille d’une Cadillac», n’ait sauvagement inventé de toutes pièces cette histoire de dindons fantômes. Pour notre agrément, pour se payer notre tête de citadin en goguette dans le Kentucky, pour nous ramener à la voiture à pas plus pressés, ou peut-être bien pour se distraire de cette «chanson de princesse Disney» dont il se plaignait depuis des heures qu’elle lui empoisonne le crâne.
A 53 ans, Will Oldham présente ce genre de tracas de jeune père, et une hyperactivité mentale, créative et discursive non seulement intacte, mais comme attisée et aiguisée au quotidien par l’ivresse que lui procure un spectacle permanent de «transformations» –