Longtemps, on a craint qu’il meure le cœur empli de regrets. Celui de s’en aller le devoir inaccompli, d’avoir laissé filer entre ses doigts ce qu’il envisageait comme la plus grande œuvre de musique pop jamais enregistrée, le mal nommé Smile. On connaît l’histoire, ou alors on mérite de se la faire raconter, de quelle manière Brian Wilson, à l’âge de 25 ans à peine, fit fondre son cerveau à force de travail et de substances, posa effectivement les premières pierres de ce qui s’annonçait comme la plus fantastique symphonie américaine de son temps adolescent avant de jeter l’éponge et d’en rester hébété pour l’éternité.
Les éclats du Grand Œuvre, éparpillés sur Smiley Smile et la demi-dizaine d’albums suivants des Beach Boys (sous-estimés Friends et Surf’s Up), allaient hanter la mélomanie mondiale pour les années à venir – jusqu’à ce jour de 2004 où l’éternel instable de la pop nous surprit tous en réenregistrant Smile selon son souvenir du début à la fin, accompagné d’une bande de petits prodiges, puis en le jouant sur scène aux quatre coins du monde. En fut-il apaisé ? Qu’on nous autorise à penser que ce Smile tardif, tout comme le coffre aux trésors des Smiley Sessions contenant la version la plus approchante possible de ce qu’aurait été Smile si Smile avait été terminé, n’a strictement rien changé. Smile était un chef-d’œuvre même hors de notre portée et god only knows à quoi ressembleraient la musique, et le monde, si les Beach Boys l’avaient sorti en 1967, dans la foulée de ce Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band qui fit virer de bord à tout jamais leur génial leader de l’ombre.
Brian Wilson, le plus génial des innocents – le plus innocent des génies – de la pop américaine, aura souffert le martyre pour une vétille. Car comment vivre dans le regret de quoi que ce soit après avoir offert au monde Pet Sounds – le plus pur des plus grands albums du monde – et Good Vibrations, Cabinessence, A Day in the Life of a Tree, 'Til I Die ? Notre regret à nous : l’homme qui ressurgit face à nous, à chaque fois qu’on l’écoute, comme le plus grand de tous, a l’air éternellement insatisfait.