Une légende du piano vient de s’éteindre. Ce n’était pas un immense technicien, il n’avait pas le son de clavier le plus rond et le plus chaud de l’histoire, ni même de sa génération. Quant à son répertoire, s’il couvrait quatre siècles de musique, de Bach à Schoenberg, il se limitait surtout aux classiques et aux romantiques majeurs, dont il a enregistré l’intégrale des sonates et des concertos, jusqu’à quatre fois durant sa carrière. Alfred Brendel ne fut pas moins une superstar, autant aimé pour certaines de ses interprétations que pour le personnage qu’il était devenu, ses airs de professeur étourdi que contrariait un humour pince-sans-rire, prouvant que rien ne lui échappait. La sécheresse relative de son jeu n’excluait ni la vitalité, ni l’éloquence, ni la tendresse, et faisait merveille dans Mozart et Schubert. Son Beethoven n’était pas le plus profond, lyrique, spirituel, ou romantique, mais il était assurément intelligent.
Et si l’on se lassa de lui bien avant qu’il ne prenne sa retraite, il y a une quinzaine d’années, la découverte de ses premiers enregistrements pour les label Vox ou Vanguard datant des années 60, dont sa Sonate en si mineur, de Liszt, ou sa Wanderer Fantasie, de Schubert, arrangée par Liszt, nous laissa sans voix : Brendel n’avait pas toujours été ce phénomène de l’industrie du disque planétarisé par Philips à partir des années 70, qui s’autorisait des absences ou des lubies interprétatives en plein concerto de Beethoven, sur la scèn