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Plus vite que la musique

MJ Lenderman, Magdalena Bay, Seefeel… Qu’est-ce qu’on écoute cette semaine ?

Pop, rock, musiques électroniques… Chaque semaine, «Libé» vous aide à vous y retrouver dans l’actu des sorties.
(DR)
publié le 6 septembre 2024 à 6h28

MJ Lenderman, Manning Fireworks (Anti-)

L’année avait pris son élan avec Tigers Blood de Waxahatchee, elle entamera sa descente avec Manning Fireworks de MJ Lenderman. Deux noms souvent évoqués dans le même souffle, collaborateurs (Right Back to It sur l’album de Waxahatchee) et parmi les seuls aujourd’hui en mesure de reprendre le flambeau d’un rock intemporel et incandescent, de cette usine à rêves impossibles, amalgame d’idées simples, images fortes et grands espaces, auquel MJ Lenderman apporte avec ce quatrième album une considérable contribution. Un disque où il se glisse sans gêne ni effort dans le costume du songwriter américain moderne, expert ès mélodies cabossées et capable de désintégrer toute la rentrée littéraire en trois strophes – écoutez Wristwatch, si les deux premiers accords ne vous mettent pas immédiatement en miettes, les textes s’en chargeront.

Un petit frère naturel de Will Oldham et David Berman, qui évoque ici sa récente rupture avec Karly Hartzman (chanteuse du groupe Wednesday, dont Lenderman est le guitariste) dans un mélange de réalisme cru, d’humour désespéré et de poésie démolie (Bark at the Moon, poignant titre final qui cite ouvertement Warren Zevon et Ozzy Osbourne). Un Teenage Fanclub à lui tout seul, aérien, évident, imparable (On My Knees). Un cousin plus futé du J Mascis de Dinosaur Jr., capable de vous ensevelir sous un blizzard ferrugineux sans en faire des tonnes (les guitares hurleuses de She’s Leaving You). Dans son livre sur les Rolling Stones, le journaliste américain Rich Cohen écrivait qu’avec Wild Horses, Mick Jagger et Keith Richards avaient écrit non seulement le titre vers lequel tous leurs rêves et leurs aspirations convergeaient mais aussi celui qui incarnait, dans son intention et son influx, le but ultime de tout musicien, quel qu’il soit. Il n’y a aucune chanson ici du niveau de Wild Horses, mais mis bout à bout, les neuf titres de Manning Fireworks atteignent le même horizon. Très grand disque. Lelo Jimmy Batista

Magdalena Bay, Imaginal Disk (Mom + Pop)

On est fondés à se méfier d’un concept album dont les chansons interconnectées déroulent un récit de science-fiction dans lequel les personnages se reprogramment à l’envi en s’insérant des LaserDiscs dans la tête. Sauf que : la défiance ne résiste pas à l’écoute d’une seule chanson d’Imaginal Disk, le deuxième album en forme de déferlante de ce duo floridien hyperactif sur les réseaux autant que dans sa pop dense et super dansante. On ne sait pas grande chose de Mica Tenenbaum et Matthew Lewin si ce n’est que Tabula Rasa, le groupe dans lequel ils officiaient avant de fonder Magdalena Bay, donnait dans le rock progressif sale et fier de l’être. La musique de leur duo est quant à elle indéniablement pop, optimiste et sans frontières, a fortiori sur cet Imaginal Disk décomplexé de tous les tabous esthétiques, au croisement des Bangles, ELO et Oneohtrix Point Never. Olivier Lamm

Seefeel, Everything Squared (Warp)

Pionnière des relations sensuelles entre shoegaze et ambient-dub gazeux, Seefeel est l’entité la plus élastique et énigmatique des années 90, ouvrant des champs magnétiques à en affoler les boussoles mais pas les charts. D’où leur relative confidentialité, compensée par l’admiration de leurs semblables (Aphex Twin, notamment) qui justifie un culte jamais éteint. Le noyau central Mark Clifford et Sarah Peacock s’est mis en sommeil plusieurs fois, allant jouer sur d’autres territoires, et leurs retrouvailles précédentes, en 2011 et en format quatuor, semblaient inaccomplies et hors phase. Ce mini-LP de six titres (un autre devrait suivre) renoue en revanche avec les sensations autrefois éprouvées d’une musique qui transcende la masse sonore la plus pure, comme sculptée dans les nuages et les songes. Visionnaires hier, ils récoltent enfin leur dû. Christophe Conte

Spirit of the Beehive, You’ll Have to Lose Something (Saddle Creek)

Il fait une chaleur à crever, vous êtes jeune et fauché, dans la chambre de votre appartement insalubre vous écoutez un album de Silver Jews. Dans la sienne, de l’autre côté du couloir, votre colocataire bastonne un titre de Skinny Puppy. Portes ouvertes, les deux disques se superposant alors que vous vous retrouvez tous deux dans la cuisine pour partager vos derniers buvards de LSD. A l’étage du dessus, le voisin prend sa douche en écoutant John Coltrane sur une cassette démagnétisée. Voilà en gros à quoi ressemble le cinquième album de Spirit of the Beehive, l’un des groupes les plus excitants de la jeune scène indépendante US, trio de Philadelphie mêlant alt-rock comateux, psychédélisme en gelée et beats industriels. Trente-huit minutes de grâce fracassée, tout en guitares liquides et bandes triturées, plus mélodiques et apaisées qu’à l’accoutumée mais toujours bourrées d’implacables tubes fantomatiques (1 /500, Found a Body). L.J.B.

Wayne Shorter, Celebration, volume 1 (Blue Note)

C’était inévitable : un an après sa mort, qui révéla à qui en doutait encore l’importance de Wayne Shorter dans le monde de la musique, vient de paraître un premier inédit sur lequel il semblerait que le saxophoniste travaillait avec un ancien compagnon de route, l’ingénieur du son Rob Griffin. Soit un concert de son monumental quartet à Stockholm en 2014, qui devait faire partie d’un ensemble d’enregistrements intitulé «Unidentified Flying Objects», mais qu’il rebaptisera Celebration dix jours avant de quitter ce monde. On y entend le poète du son, au sommet de son art, tout en ésotérique retenue et étonnantes circonvolutions, sublimé par trois partenaires – le batteur Brian Blade, le pianiste Danilo Pérez et le contrebassiste John Patitucci – qui surent vingt ans durant se mettre au diapason de l’étrange beauté de ses compositions. Sitôt le disque posé sur son sillon, s’installe un climat de l’au-delà, du jazz comme du reste, et irradie dans toute la pièce un sentiment de plénitude. Jacques Denis

Peter Von Poehl et Marie Modiano, Capri, Ballad of the Spirits (Nest and Sound)

Capri, c’est jamais fini. Dans les jardins de la villa Lysis, où ils étaient invités pour un festival, les tourtereaux nomades ont commencé à convoquer en 2021 les fantômes de l’île italienne – mais pas Hervé Vilard – pour une dérive «musicale et onirique», dixit le pitch, en trois langues. L’héritière Modiano en a déjà tiré un roman, l’Ile intérieure, et avec son amoureux suédois, c’est une farandole de jolies chansons turbulentes aux inspirations larges comme la baie de Naples qui ont découlé du spectacle donné alors, et qu’ils livrent désormais en album. Ne comptons pas sur eux pour les cartes postales ritales, malgré quelques incursions country spaghetti, car le fond de leur inspiration reste intact, et lorgne tant vers la Californie de Laurel Canyon qu’en direction de la chanson frenchy ou de la pop scandinave en bois naturel. Bellissimo. C.Co.

Augustin Hadelich, American Road Trip (Warner)

Interprète majeur des concertos de Brahms, de Dvorák, de Britten, de Dutilleux et de Ligeti, le violoniste Augustin Hadelich témoigne de la même musicalité exigeante et chaleureuse dans ce «road trip américain», gravé avec le pianiste Orion Weiss. Encadrés de tubes pour attirer le chaland (le Banjo and Fiddle de William Kroll, la Romance Op. 23 d’Amy Beach, le Somewhere de Bernstein), la Sonate n° 4 polytonale d’Ives et le répétitif Road Movies d’Adams sont défendus avec une précision et un lyrisme galvanisants. Le clou du CD restant Netsuke, du génial Stephen Hartke, conjuguant frénésie bartokienne, accents ragtime, sons claqués ou filés de la musique japonaise, et exquis éclats d’atonalité lunaire. Eric Dahan