A l’annonce ce mercredi 16 août par son fils, Filippo Anselmi, de la disparition à 89 ans de Renata Scotto, c’est à des dizaines d’airs, incarnés avec un art consommé du bel canto et habités par un puissant tempérament de tragédienne, que l’on a pensé. Son Senza Mamma, dans Suor Angelica de Puccini, à la fois ductile et d’airain, vibrant et souverain. Sa Mamma Morta, extraite d’Andrea Chénier de Giordano, pour laquelle elle ne semblait pas taillée mais dont elle s’avérait timbrer les graves et projeter les aigus avec une aisance, une amplitude dynamique et un contrôle du legato laissant pantois. Y eût-il jamais Liu, dans la Turandot de Puccini, plus éloquente et plus raffinée que celle qu’elle incarna ?
Plácido Domingo, qui partagea plus d’une fois la scène avec elle, ne prit pas beaucoup de risques lorsqu’il confia au New York Times en 1978 que, parmi les gens avec qui il avait travaillé, Renata Scotto était la personne qui s’approchait le plus d’une véritable actrice-chanteuse. Elle fut capable d’insuffler une émotion dans chaque mot qu’elle interprétait. Il suffit d’écouter sa Mimi (la Bohème), sa Violetta (la Traviata), sa Manon (Manon Lescaut) pour prendre la mesure de ce charisme auquel succomba James Levine, directeur musical du Met de New York, où elle chanta 26 rôles !
Fille d’un officier de police et d’une couturière, Renata Scotto n’était pas destinée à devenir une rivale de Maria Callas. A en croire son autobiographie, l’enfant chantait pourtant sur son balcon, recueillant ovations et bonbons. A 12 ans, un oncle l’emmena écouter Tito Gobbi dans Rigoletto au Teatro Chiabrera de Savone : «C’est ce grand chanteur et acteur qui m’a inspiré de faire ce métier», écrit-elle.
La suite est connue. Formée à Milan par Ghirardini et Merlini, puis par Mercedes Llopart, sur recommandation du ténor Alfredo Kraus, Scotto s’illustre dans la Traviata et dans Madame Butterfly, puis triomphe dans la Wally, en 1953, à la Scala de Milan. Sa carrière prend un tournant décisif le 3 septembre 1957 : après avoir chanté quatre représentations de la Somnambule de Bellini, dans la production signée Luchino Visconti pour la Scala et reprise au Festival d’Edimbourg, Maria Callas en refuse une cinquième non prévue, prétextant être souffrante ; dépêchée, en dernière minute, Renata Scotto fait un carton. Elle le paiera cher, les fans de Callas la poursuivant à travers le monde pour l’invectiver !
Après deux décennies exceptionnelles dont témoignent nombre de disques et de DVD, l’aigu finit toutefois par se durcir, le vibrato par s’élargir et l’intonation par vaciller. Ne supportant plus les critiques assassines, Renata Scotto fit ses adieux au Met en 1987 et se consacra à la pédagogie, formant notamment Renée Fleming et Anna Netrebko. Cette prima donna ne laisse pas moins le souvenir d’une musicienne rare, animée par un idéal. Celui d’une ligne de chant dans laquelle le théâtre des passions se déploie avec une majesté que seul l’art lyrique, porté par des artistes de cette intelligence et de cette sensibilité, peut offrir.