Pino d’Angiò est mort et ce texte pourrait consister en une énumération de chiffres tous plus impressionnants les uns que les autres car, voilà, Pino d’Angiò a fait un tube et c’est de ce tube que se souviendra l’humanité. Ma quale idea, novembre 1980, 12 millions d’exemplaires, une quantité délirante de remixes et de reprises, la dernière en date ayant été très médiatisée puisque le jeune groupe italien Bnkr44 s’est produit en février avec son idole à l’immense festival de San Remo – une collaboration qui leur a valu un disque d’or en moins de deux mois, célébré en ces termes : «La première fois que nous avons rencontré Pino d’Angiò nous ne savions pas grand-chose de lui, nous venons d’époques différentes et nous avions peur de ne pas être compatibles, mais en quarante secondes environ, il a convaincu tout le monde.» Mais alors qui sait quelque chose de Pino d’Angiò ? Que restera-t-il de lui hormis ce coup de maître funk, ses riffs parfaits autant à la basse qu’au piano coiffés par une scansion rap désinvolte de parfait lover italien ? Il avait 71 ans et la clope, qui avait façonné son timbre sensuel, a aussi été sa perte puisqu’il a succombé à un cancer de la gorge contre lequel il se battait depuis des années, entre autres lourds problèmes de santé.
Pochette d’une simplicité redoutable
C’est aux Etats-Unis où il grandit qu’il se prend de passion pour le funk et la soul. De retour en Italie où il étudie la médecine, il se produit dans un cabaret florentin pour financer ses études et c’est là qu’il est repéré par le producteur de Mina, Enzo Leoni. Il fait ses débuts en tant que chanteur en 1979 avec le single E’ Libero Scusi, dans un style purement disco italien, après avoir écrit et cocomposé un morceau péniblement baragouiné en anglais par une chanteuse de seconde zone, Marisa Sacchetto (Face In The Water). Il a 27 ans et un sens de l’humour qui s’affûtera de morceau en morceau, généralement des tableaux hilarants de séduction surjouée et de foirages amoureux. Le 45 tours qui contient le tube de sa vie sort donc en 1980 avec en face B Lezione d’amore, un précis de séduction aussi poétique que cruel à l’attention des femmes puisqu’il y égrène tous les moyens de faire souffrir l’autre, pour finir par l’achever : «Maintenant qu’il est un homme mort, tu peux en faire ce que tu veux – C’est ça qu’il attendait !» Ce morceau-là ne trouvera pas sa place sur l’album qui sort un an plus tard et dont la pochette d’une simplicité redoutable assume à présent le personnage que l’artiste surjouera sur tous les plateaux TV, regard épaule, lèvres entrouvertes, clope en main, cuir au col relevé, et ce titre parfait : ….Balla ! («Danse !»). C’est sur cet album aussi que se trouve le morceau Okay Okay, réplique quasi littérale de Ma quale idea exhumée en 2022 par Amazon pour un spot de pub. Ne se prenant jamais au sérieux, il entame son disque par un rock’n’roll infernal de star capricieuse dans lequel il égrène le casting de vedettes qu’il souhaite voir jouer sur scène avec lui, et celles qu’il laisse à la porte («Comment ? Pink Floyd ? Dans aucun cas !»).
Relation d’un amant vénal et une milliardaire obèse
Dès lors, il produira des albums avec une constance assez remarquable malgré leur absence de retentissement, et toujours autant d’humour – on se délecte de Ti regalo della musica (1982) et sa pochette kitsch où la cigarette a fait place à une coupe de champagne. On en retient les singles aux titres parfaits Fammi un panino («Fais-moi un sandwich») et Julius Caesar Plum Cake Dance, mais aussi le parfaitement odieux Cosi’grassa come sei qui conte la relation empoisonnée d’un amant vénal et d’une milliardaire obèse («Tu ressembles à un tonneau /Mais tes milliards m’ensorcellent /Tu es moche comme un crapaud /Mais tellement riche que je ne te quitterai pas»). Né Giuseppe Chierchia, c’est sous son vrai nom qu’il s’associe à Bruno Serchioni pour former le duo Age of Love auquel on doit le morceau du même nom sorti en 1990 sur le label belge Diki Records et qui aura un succès colossal dans la scène techno et trance, remixé tout au long des années 90 par nombre de figures du milieu parmi lesquelles Paul van Dyk. Toujours actif ces dernières années malgré ses ennuis de santé, il composait l’an dernier une compilation de perles italo disco mêlées à ses propres tubes pour le label Peer-Southern, disque qui s’ouvrait par un remix de Ma quale idea par le producteur français Myd. Le mois dernier encore il participait à un enregistrement, d’une voix désormais irrémédiablement caverneuse. Il sera enterré demain à Pompéi.