Compilation : Panorama (Transversales)
Alors qu’arrive en kiosques la dernière livraison de Schnock consacré à Georges Pompidou, en voici la bande-son parfaite. Un Panorama d’instrumentaux rares, voire inédits, issus de bandes originales de films, de concept-albums fumeux et de disques d’illustrations sonores parus dans cette France des années 70 de Roger Gicquel (la pochette rappelle l’ancien habillage de TF1), de Vasarely, de Pierre Paulin et des films anxiogènes d’Alain Jessua. Pas la peine de prendre sa carte à l’UDR pour apprécier ce programme où scintillent pas mal de noms connus (Christophe, Vladimir Cosma, Francis Lai) ainsi que ceux des maîtres étalons du savoir-faire français en matière d’arrangements et d’orchestrations, les André Popp, Michel Magne, Alain Goraguer ou Maurice Lecoeur. Ce dernier, comparse de François de Roubaix (curieusement absent), dont le label Transversales qui régale ici a déjà publié une indispensable anthologie, fait avec ses Contes au fil de l’eau (1979) le lien entre les amples orchestrations présentes ailleurs et le minimalisme ondulant des synthés qui allaient envahir les années 80. L’une des découvertes majeures, qui fait office d’ouverture, est The Organization, extrait de la B.O. de la Maison sous les arbres de René Clément (1971), signée Gilbert Bécaud mais dont tous les mérites reviennent à l’arrangeur Christian Gaubert, lequel rivalise ici avec les atmosphères martiales d’un David Axelrod tout en devançant la Planète sauvage de Goraguer. Goraguer qui ferme la marche avec une rêverie aux vocalises angéliques, tirée d’un film érotique, la Vie sentimentale. Entre les deux, c’est la grande parade des basses qui vrombissent, des cordes et cuivres montés en torches, des boucles de claviers hypnotiques (formidable Jean Schwarz et son Final maison rouge de 80) des rythmiques sidérantes et des chœurs palpitants. Ces types qui n’ont peut-être pas eu conscience, sur le moment, qu’ils inventaient une French Touch encore non labellisée comme telle, au corpus inépuisable. Vivement le volume 2. Christophe Conte
Floating Points, Cascade (Ninja Tune)
La confusion est profonde à l’écoute de Cascade, premier album au dancefloor de ce producteur vénéré pour avoir élargi ls champ de la UK house à des genres bien plus respectés par la bourgeoisie, le jazz et le néoclassique le petit doigt levé. La déception est de mise aussi, tant les dernières œuvres de Sam Shepherd, le grinçant Crush et surtout Promises, tombeau pour et avec Pharoah Sanders, témoignaient d’un lâcher prise grisant pour ce monstre de maîtrise et de technicité. Car Cascade invoque des prodiges sonores - ces sons ! ce mix ! - pour monter la sauce d’une manière de tech house phénoménale de banalité, du genre qu’on bastonne le samedi soir au Fabric pour les bourges rougeauds en polo col relevé. On suppose que Shepherd a fait tous ces crowd-pleasers le cœur sur la main, pour donner du plaisir au plus grand nombre, mais on s’effare qu’il s’en échappe si peu d’esprit, si peu de finesse – à ce stade de sa carrière, c’est de l’ordre de la sortie de route. Olivier Lamm
The Jesus Lizard, Rack (Ipecac)
Se reformer ou ne pas se reformer, telle est la question que se posent aujourd’hui celles et ceux qui ont profondément marqué leur époque sans pour autant en tirer la reconnaissance et les dividendes qu’ils méritaient. Référence incontournable de la scène indépendante américaine rayon noise-rock psychotique, imbattables sur scène où ils n’étaient rien de moins que l’équivalent 90′s de Black Flag, les Texans de The Jesus Lizard se risquent à leur tour à prolonger une discographie sans faute avec ce nouvel album qu’on qualifiera très pudiquement de déconcertant. A première vue, tout y est, des hurlements dégénérés de David Yow aux guitares mercuriales de Duane Denison, de la pochette inquiétante à l’immuable titre en quatre lettres. Manque juste l’essentiel : l’urgence, le nerf, le cœur, l’envie de mordre. Pour un groupe qui en a littéralement débordé pendant une décennie, c’est un poil incommodant. Lelo Jimmy Batista
Trygve Seim & Frode Haltli : Our Time (ECM)
Cela s’entend, ceux-là s’écoutent. Tout ceci ne date pas d’hier, puisque dès 2000 le saxophoniste Trygve Seim conviait l’accordéoniste sur le magnifique Different Rivers, déjà sur ECM. Depuis les deux Norvégiens ont fait carrière, se sont invités, posant un premier duo qui cellophanait leur amitié sur disque en 2008. Le temps, comme le suggère le disque, n’a pas érodé leur dialogue. C’est même la clé de cette histoire, dont ce nouveau chapitre rend compte de manière magistrale. Une berceuse ukrainienne et un classique hindoustani, un drôle d’Arabian Tango et un écho des Cinq Doigts n°5 de Stravinsky, des bribes de folk et de musique sacrée, des obliques plus contemporains et des détours en mode microtonal, tout est matière à laisser filer leurs doigts et leurs idées, au gré de fertiles improvisations qui jamais ne perdent le fragile fil d’une mélodie mais toujours tracent une poésie sonore hors des contingences de l’actualité. Jacques Denis
Juniore, Trois, Deux, Un (Le Phonographe /Sony)
Après Un, Deux, Trois en 2020, le trio parisien composé de deux filles et d’un fantôme fait le décompte à rebours, Trois, deux, un, sur ce troisième album où les allers-retours sont légion : entre rétro et futurisme, garage-rock et cuisine acide, Bardot en cuissarde et Broadcast aux ondes de Moog qui grésillent, pop aux yeux de biches et psychédélisme reptilien. Petites sœurs de son des Limiñanas et cousines de La Femme, Juniore sont aussi les créatures du producteur Samy Osta (le fantôme, c’est lui), genre de Kim Fowley qui a trouvé en l’écriture vif-argent de Anna Jean et à travers son chant-parlé lascif l’idéal combustible d’une formule chimique qui tarde pourtant à exploser. Le groupe existe depuis dix ans, mais dans le vortex TikTok-Brat-narcissisme de l’époque, elles sont en contretemps, comme une belle anomalie qui ne perdrait rien à le rester. C.C.
Nala Sinephro, Endlessness (Warp)
Le credo de la Londonienne Nala Sinephro ressemble à celui de Steve Reich, que ce dernier dit avoir appris du Love Supreme de Coltrane : «se concentrer sur une seule note avec une intention absolue». Aussi on lui pardonne le fait que son deuxième album ressemble à ce point au premier. L’extase est dans le détail et Endlessness, continuum soft jazz cosmique pour harpe, synthés, sax et orchestre (les invités s’appellent James Mollison, Nubya Garcia ou Natcyet Wakili) une exaltation de chaque seconde, la variation hissée jusqu’à l’idyllique, un Love Supreme totalement zen, Coltrane qui reviendrait d’un quintuple tour du monde en catamaran. Certains puristes du free-jazz qui fait saigner les gencives diront que ça n’est pas grand-chose, on leur rétorquera qu’ils n’ont aucune idée d’à quel point on devient une meilleure personne en écoutant de l’ambient. O.L.
Wolfgang Sawallisch, Complete Symphonic, Lieder & Choral Recordings (Warner)
On avait gardé un bon souvenir des Beethoven de Sawallisch avec l’Orchestre de Paris à Pleyel, dans les années 90. Mais l’intégrale des symphonies du maître de Bonn, qu’il grava avant avec le Concertgebouw d’Amsterdam, soit 5 CD sur les 65 de ce coffret, est chiante comme la pluie. Qu’importe ! Les Schubert choraux, les Dvorak, les Richard Strauss sont excellents ; les solistes des concertos – Annie Fischer dans Mozart, Johanna Martzy dans Mendelssohn, Frank Peter Zimermann dans Brahms… – évidemment géniaux. Quant à l’intégrale des symphonies de Schumann avec la Staatskapelle de Dresde, elle défonce la concurrence (Von Dohnanyi, Muti, Bernstein…) ; à croire que le kapellmeister coincé était enfin sous coke. Qui sait ? Eric Dahan