Retrouver le contrôle, retrouver sa liberté, retrouver son corps et sa voix. C’est avant toute chose ce que symbolisent les fameuses «mémoires» tant attendues de Britney Spears que le monde entier s’arrache déjà : The Woman in Me (La femme en moi, aux éditions JC Lattès, premier tirage de 100 000 exemplaires en France), et ce après bien des documentaires consacrés au destin jusque-là chaotique de la pop star (Framing Britney Spears et Britney Vs. Spears en 2021) et une capacité à se livrer elle-même à des danses home made ultra-tourbillonnantes et quelques textes à rallonge sur son compte Instagram.
C’est l’histoire d’une chanteuse aux mille succès (Baby One More Time, Gimme More, Toxic, Work Bitch…), symbole chéri d’une Amérique toute honte bue de sa propre hypocrisie, capable d’encenser (d’engendrer ?) une enfant star précocement sexualisée tout en scrutant le moindre de ses faits et gestes pour mieux la clouer au pilori. Mauvaise fille, mauvaise petite amie, mauvaise mère. Elle arrache le bâillon à 41 ans pour donner sa version des faits après treize longues années (2008-2021) d’une mise sous tutelle «de la personne» et «de ses biens», où son père – avec en petit diable sur l’épaule Louise «Lou» Taylor, l’ex-business manager de la star – a pu régir les détails de sa vie courante, si elle pouvait conduire ou non, boire de l’alcool, retirer son stérilet. Avant d’ordonner des cures de désintox ou séjours forcés en clinique psy, pour contrôler son corps avec la bénédiction de l’Etat de Californie : «Ainsi, quand mon père refusait que je prenne un dessert, c’était non seulement lui qui me l’interdisait, mais aussi ma famille et mon Etat.»
Vampirisée de son libre arbitre
Sans compter que papa et la petite famille (la mère Lynne, la sœur Jamie Lynn…) qui dépendaient déjà financièrement de Britney depuis ses premiers succès à l’âge de 17 ans, continuaient de vivre chichement des recettes engendrées par celle jugée inapte à tout sauf à cravacher sur de nouveaux opus comme des tournées à rallonge (période Circus, Femme fatale, Glory, de 2008 à 2016) ou des résidences ad vitam aeternam à Vegas où elle performera quasi vampirisée de son libre arbitre, de ses actes et de ses émotions. «Enfant-robot», écrit-elle.
Elle touchait une pension d’environ 2 000 dollars par semaine alors que son père devenait multimillionnaire en lui disant : «Britney Spears, désormais, c’est moi.» Effroi tout particulier lorsqu’on apprend parmi une centaine d’anecdotes sur le contrôle de sa vie toutes plus glauques les unes que les autres, que la principale concernée cherchait lors des résidences à Vegas à suggérer des nouveautés d’arrangements pour améliorer un show figé dans la naphtaline de sa propre histoire, auquel le père dira «non» comme toujours.
Appel passé à la police
Au moment de recevoir un «Radio Disney Icon Award» en 2017, Britney assistera depuis le public, cernée par sa mère et ses deux jeunes fils Sean Preston et Jayden James (qu’elle a eue avec le chanteur et danseur Kevin Federline) à un hommage de ses plus grands hits chantés par Kelsea Ballerini, Hailee Steinfeld et Sofia Carson puis surtout, l’angoisse, sa propre sœur Jamie Lynne. «Devant moi, trois chanteuses et ma sœur proposaient des nouveaux arrangements que je réclamais depuis treize ans, et elles s’amusaient avec mes chansons. Et moi, je devais rester assise là, à sourire.» Le vol d’une existence jusqu’au-boutiste, avec une Britney condamnée à observer son doppelgänger.
Edito
Certainement une histoire de «voix», celle dont elle devra se servir le 23 juin 2021, au lendemain d’un appel passé à la police pour dénoncer la tutelle abusive de son père, afin de tout raconter au juge par téléphone : «On s’était servi de ma voix pour et contre moi tellement souvent que j’avais peur que plus personne ne la reconnaisse maintenant que je m’exprimais librement.»
Détails sordides d’une vie volée
Et c’est d’ailleurs ce qui touche tout particulièrement dans ce livre, où Britney, aidée du journaliste Sam Lansky, parvient à donner ce ton «parlé», spontané et naturel, qui finit même, anxiogène, par étouffer le lecteur qui lit d’une traite les détails sordides d’une vie volée : elle revient sur son enfance en Louisiane, quelques récits de malédictions réservées aux femmes de sa famille, l’alcoolisme de son père, ses débuts avec le Mickey Mouse Club (émissions pour porter vers le succès de très jeunes stars), les questions sexualisantes et déplacées des présentateurs télé, sa relation avec Justin Timberlake comme l’histoire d’un avortement confidentiel à domicile à 19 ans, encouragé par le jeune chanteur du groupe NSYNC, alors que Britney hurle de douleur dans la salle de bain : «A un moment, songeant sans doute qu’un peu de musique me ferait du bien, il est allé chercher sa guitare et il m’a tenu compagnie en grattant doucement les cordes.»
Les infidélités chroniques du chanteur sont évoquées, puis après une rupture, le garçon se fait passer pour martyr jusque dans sa musique (son premier album solo Justified). La fille a trompé une fois, elle se fera crucifier sur l’hôtel de l’opinion publique et de la presse people. «Que voulaient savoir la plupart des journalistes ? Si j’avais des faux seins et si mon hymen était encore intact.»
«Une façon de me rebeller»
Les autres épisodes notoires des prétendus dérapages de la chanteuse seront tous passés au crible de son propre point de vue : agressions de paparazzis, craquage lacrymal lors d’une interview piège, soirées alcoolisées avec Paris Hilton, rasage de tête et garde des enfants partagée sous hautes conditions.
Mais ce que l’on ressent au fil de la lecture surtout, et elle le verbalisera par elle-même, c’est qu’elle a été privée de tout, même du pardon de ses erreurs : «Chaque individu doit pouvoir découvrir le monde. Tester ses limites, découvrir qui il est. […] Je connais d’autres personnes – par “d’autres”, je veux dire des hommes – qui avaient droit à cette liberté. […] Ado, on m’avait reluquée, on avait commenté mon apparence. Et ça continuait. Me raser la tête et ouvrir ma gueule a été pour moi une façon de me rebeller.»
Pas étonnant qu’en fin de livre on trouve ces mots : «Ma carrière musicale n’est pas ma priorité à l’heure actuelle. […] Il est temps de me retrouver.» Britney, croyante, parle souvent dans le livre de Dieu qui l’a aidé à survivre à toutes ces épreuves. L’autre figure tutélaire qu’elle cite le plus souvent reste tout de même le père, le seul sur 324 pages dont elle n’écrira jamais le prénom.