Il n’avait pas de création au Festival de Pärnu, cette année, mais Jüri Reinvere est tout de même venu présenter son CD Ship of Fools, regroupant trois pièces qui y ont été créées entre 2018 et 2023. Parler de Reinvere, né en 1971 à Tallinn, comme d’un outsider serait abusif car nombre de compositeurs estoniens ont un style caractéristique. Reste qu’il est celui qui nous importe le plus, en raison du sens profond de la narration, de la gestion de la polyphonie et du métier d’orchestrateur n’ayant rien à envier à celui de Paul Dukas, de Charles Koechlin ou de Richard Strauss, dont témoignent ses œuvres.
Musique luxuriante et tourmentée
Fils d’un ouvrier métallurgiste et d’une mère docteure en sciences économiques, Reinvere a grandi dans l’Estonie russifiée avec la peur de voir la culture de son pays disparaître, mais également à Moscou et Leningrad où sa mère a passé ses diplômes. Il est venu à la musique par accident, simplement parce que c’était la condition pour entrer au collège anglais de Tallinn. Puis il s’y est converti : «Sous l’occupation soviétique, on devait cacher ses opinions et ses sentiments. La musique permettait de les exprimer de façon indirecte.» Passionné depuis l’adolescence par l’histoire, l’astrophysique, les langues et la théologie, Reinvere a indéniablement un penchant pour le mysticisme mais sa musique luxuriante et tourmentée, tour à tour songeuse et cataclysmique, qui a été interprétée par des phalanges aussi prestigieuses que le Philharmonique de Berlin, la Gewandhau