«S’il n’était pas connu, je serais sûrement allée voir la police», souffle Audrey (1), 28 ans, après une heure de récit difficile, à propos d’une nuit d’automne 2018. Ses mots ont jailli d’un coup. Elle réalise soudain la portée de ses pensées : «Si ce n’était pas un mec célèbre, j’en aurais parlé beaucoup plus vite, continue-t-elle. Mais je sais que je ne suis pas assez forte psychologiquement pour survivre au cyberharcèlement.» Ce «mec célèbre», c’est le rappeur français Lomepal, de son vrai nom Antoine Valentinelli. Comment ignorer qu’accuser de viol un artiste populaire, c’est s’exposer à la défense aveugle et virulente de sa communauté de fans ? Cette évidence était encore féroce alors que la vague #MeToo n’en était qu’à ses prémices. Comme de nombreuses victimes de violences sexuelles, Audrey a eu peur de ne pas être crue, d’être jugée. La notoriété grandissante du rappeur, après le succès de son album Flip, sorti en juin 2017 et disque d’or dans la foulée, a accentué ses craintes. Et l’a contrainte à ensevelir le moment où sa route a croisé celle du rappeur.
Ce soir-là, il débarque avec sa bande dans une boîte de nuit parisienne qu’Audrey fréquente souvent – elle connaît le patron. La fête bat son plein, les personnalités de la musique et du cinéma défilent, les shots aussi. La jeune femme est rapidement alcoolisée. «Au bar, je vois un mec qui me regarde avec insistance, puis qui parle à son pote et s’en va», explique-t-elle. T