Rafael Toral
L’an passé, le guitariste, improvisateur, compositeur, inventeur lisboète Rafael Toral a sorti un chef-d’œuvre : Spectral Evolution, longue pièce indescriptible pour guitare et sons électroniques comme ourdie hors de l’espace-temps par Duke Ellington, David Tudor et Brian Eno. Aucun hasard, Toral résumait là deux décennies d’expérimentation au sens le plus pur, sans la guitare – remisée au placard –, seulement équipé de petites machines de sa conception et d’une volonté dingue de reprendre la musique à zéro. Soit une musique électronique décorrélée des instruments, «mélodique mais sans notes, rythmique mais sans rythme, familière mais étrange, méticuleuse et radicalement libre» qui marquait une rupture avec ses premiers albums (les cultes Wave Field et Sound Mind Sound Body) aux airs de suite logique du Loveless de My Bloody Valentine, sans la batterie, ni voix, ni les chansons. Spectral Evolution, dont Toral présente à Variations dimanche 6 avril une version de concert, est comme la réconciliation de ces deux pans de son œuvre fondamentale, quelque chose comme de la musique orchestrale sans orchestre et l’irruption la plus intense et originale échappée de l’underground expérimental depuis des lustres.
Interview
Olivia Block
Ecouter la musique d’Olivia Block active deux parties du cerveau de l’auditeur très éloignées l’une de l’autre. D’abord celle qui permet de se concentrer sur les détails les plus minutieux du phénomène sonore, traditionnellement mis à profit dans l’histoire de la création par les compositeurs de musique dite concrète ou acousmatique, art des sons fixés à l’écoute du monde aural et de leurs mutations. Ensuite celle, plus souvent sollicitée par les artisans des musiques populaires, qui encaisse les mélodies pour faire survenir l’émoi. Pionnière du rapprochement des lobes, l’Américaine a débuté dans le groupe The Marble Index, avant de se consacrer aux installations en galerie et de fonder à la fin des années 90 sa propre école musicale aux confins du post-rock contemplatif et des arts sonores. Son œuvre enregistrée la plus récente, The Mountains Pass (Black Truffle, 2024) est un festival de chanson progressive, le premier disque dans lequel elle s’autorise à chanter et à se rapprocher en long et en profondeur de Nico – voix et autrice de The Marble Index, mais le lecteur aura déjà fait le rapprochement. Elle sera au festival nantais dimanche 6 avril.
Good Sad Happy Bad
Quinze ans que l’artiste britannique Mica Levi alias Micachu cherche, surprend, ne se repose pas quand iel a trouvé quelque chose qui fonctionne. Qu’iel peut croasser à la Kurt Cobain côté scène et soigner ses cordes à la Ligeti côté musique de film. Que son groupe avec pourtant les mêmes musiciens – Marc Pell, Raisa Khan, plus récemment CJ Calderwood – change de forme, passé de l’art rock malin de Micachu and The Shapes à une horizontalité où toutes les voix s’expriment, sans leader, et puisent dans l’improvisation. Logiquement, il fallait renommer le groupe ; depuis 2016 il s’appelle Good Sad Happy Bad et leur dernier album, All Kinds of Days, paru en novembre, était inexplicablement passé sous notre radar, un drame sachant qu’il contenait tous les conseils de vie qui nous auraient permis de passer l’hiver bien plus sereinement. Guiding Light, promesse d’une lueur rassurante au bout du tunnel ; Twist the Handle, instructions précises pour les défis d’une journée ordinaire («tords les règles, suis la route, dégaine le stylo, pousse le bouton, noue les lacets, arrache la page…») ; Find My Way, GPS imparable pour une relation humaine réussie ; et le manifeste DIY, invitation à réparer plutôt qu’à remplacer. On s’en va revisser de ce pas cette tringle cassée et on rattrapera Good Sad Happy Bad sur scène dimanche 6 avril.