Entre ser et estar, indéfiniment : le flamenco existe autant par ce qu’il est essentiellement que sa capacité à muter en permanence. Evidence mal comprise, hors d’Espagne, en Espagne aussi – où la lutte fait rage depuis l’an 0 de la modernité sur ce que le mot «tradition» veut dire, et quant à cette musique populaire et savante à la fois, ancrée dans le terroir mais baladeuse, de tradition orale et qui fut l’une des premières à être enregistrée (sur cylindre de cire), camarade historique des luttes antifascistes pourtant brandie comme un vestige à préserver par les conservateurs. En 1977, l’un des plus impudents rénovateurs du genre, Enrique Morente, s’était amusé à mettre astucieusement les «puristes» face à leurs contradictions avec son Homenaje a Don Antonio Chacón. Soit un vrai-faux retour aux sources où il feulait accompagné du tocador Pepe Habichuela, hommageant Antonio Chacón, superstar andalouse dont la voix fut immortalisée dès 1909, mais relégué au rang d’outsider léger (parce que non-gitan) par les spécialistes de la deuxième moitié du XXe siècle. Puis il y eut l’époustouflant Despegando («décollage»), échappée belle et chef-d’œuvre de ce qu’on nommerait bientôt le flamenco hétérodoxe – celui qui enflamme la lettre plutôt que de la couler dans du béton armé.
Rocío Márquez, ex-enfant prodige originaire de Huelva, ha