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Libération
K7

«Visions» de Bulie Jordeaux, voyage au centre de l’éther

La musicienne bruxelloise explore les thèmes de la disparition et de la métamorphose dans un beau trip lo-fi.
On ne sait pas quel crapaud la musicienne est allée lécher mais le trip est puissant. (Aloi¨s Champougny)
publié le 16 août 2024 à 6h58

Digitale, liseron ou autre, difficile de déceler quelle est cette plante qui s’enroule voluptueusement façon Art nouveau sur la pochette de Visions. Une fumerolle devenue végétal aux propriétés lénifiantes, à l’image d’une musique qui s’enroule lentement autour de vous pour vous attirer. De Bulie Jordeaux, on ne sait pas grand-chose. Une sensibilité dub qui traverse les mix qu’elle a composés ces deux dernières années pour la webradio bruxelloise Kiosk, éminente défricheuse de musiques électroniques émettant depuis une cabane en bois dans le parc royal. Et soudain voilà ce premier album produit sous forme de K7 à tout petit tirage, avec sa belle pochette signée Dusk Club alias Philippine Bordeaux, dont on osera hasarder, au terme d’une enquête digne d’Agatha Christie, qu’elle a peut-être un lien de parenté avec «Bulie» et sa contrepèterie. La famille musicale, elle, est à chercher du côté de Naomie Klaus, Clara Le Meur, Leoni Leoni, Aigue Morte et autres artistes lo-fi aux voix d’éther qui ont choisi de planer plutôt que de courir.

A travers sept tableaux languides, il est question de disparition sous toutes les formes – évaporation, dissolution, fuite des radars, plongée sous-marine, engloutissement dans une faille temporelle… Métamorphose aussi, puisque la chair devient lave dans le très beau Volcan bâti comme une comptine-incantation sur une boucle crachotante aux airs de locked groove (ce sillon qui tourne en rond à la fin de certains vinyles). «Une créature dans une pluie de cendres en rythme avec la nuit /Ses nuées ardentes montent vers le ciel comme une cérémonie» chantonne l’artiste, comme magiquement connectée à la BD en éruption de Marion Jdanoff, Baguenaudes, qui explore le règne minéral pour reconstruire l’imaginaire de ses désirs. On ne sait pas quel crapaud la musicienne est allée lécher mais le trip est puissant, frôlant parfois la paranoïa quand on reste bloqué dans le regard de la Voyante, une passagère de bus inquiétante («Elle te fixe ! Elle te traque ! Elle te guette !»). Mais on en ressort à peu près indemne – avec l’envie d’y replonger. Pour calmer l’obsession, on alternera avec l’écoute du dernier EP de Magicien Windows, Razzia de rosé à la supérette, qui puise dans des états très similaires, avec une dose d’humour désenchanté en plus.

Visions de Bulie Jordeaux (Grande Rousse Disques, Womb)