La dernière fois qu’on l’avait écouté, c’était dans la vaste chapelle du crématorium du Père-Lachaise, pour un court solo guitare-voix en hommage à son ami Marc-Antoine Moreau, le producteur qui lui avait donné sa chance dix-sept ans plus tôt. C’était en 2000 avec Ritual Carioca, un disque labellisé Erato dont le titre collait parfaitement à la peau de Vitto Meirelles, un personnage digne des ragazzi de Pasolini.
Petit frisé, yeux malicieux et sourire gracieux, ce Brésilien incarnait tout ce qui se trame derrière le mot «Carioca», traduisez les natifs de Rio. C’est là que ce guitariste était né voici une cinquantaine d’années, restant mystérieux sur son état-civil (il avait coutume de dire que «les artistes n’ont pas d’âge»). Dans cet album, il invitait l’auditeur à une déambulation sonore dans sa ville natale, dont il connaissait les moindres recoins. Et il se faisait connaître enfin en France après des années à zoner comme tant d’autres dans l’ombre de la gloire des grands maîtres de la musique brésilienne.
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Voix douce et fragile
Des favelas aux quartiers chics, celui qu’on désignait d’un simple Vitto avait cette admirable faculté de pouvoir dialoguer avec quiconque. Des plus connus croisés au hasard des rencontres qui auront constamment alimenté l’imaginaire de cet animal nocturne aux moins fameux, auxquels il prêtait attention sans a priori. Côté français, il y eut Vincent Segal et Seb Martel, Agnès Jaoui et puis Christophe avec qui il passa quelques nuits intenses à l’en croire. Côté brésilien, ce fut Kassin et Berna Ceppas, comme les aînés Gilberto Gil ou Jaques Morelenbaum. Entres multiples autres (Arto Lindsay, pour n’en citer qu’un) qui suffisent à mesurer l’étendue de son entendement du monde de la musique.
Néanmoins, ce fécond compositeur ayant bénéficié des conseils d’Yvonne Desportes (Premier Grand Prix de Rome en 1932) en matière d’harmonie était avant tout un remarquable guitariste, pétri de sambas. Il en connaissait le vaste répertoire, des plus anciennes aux plus récentes, qu’il pouvait interpréter de sa voix si douce, si fragile, des heures durant. Voilà sans doute pourquoi Henri Salvador, qui en connaissait un rayon en matière de cordes sensibles, l’invita sur son album Ma chère et tendre en 2003.
Depuis, Vitto partageait son temps entre les deux rives de l’Atlantique, entre le quartier latin où il est demeuré jusqu’au bout face à la maladie et Ipanema où il grandit, fréquentant haut comme trois mangues les barzinhos, ces lieux de culture populaire où son père l’emmenait. Depuis vingt-et-un ans et Ritual Carioca, Vitto aura continué à enregistrer, diffusant beaucoup sur les réseaux, trop peu au vu de son talent dans les canaux officiels, capable de saluer son ultime maître João Gilberto dans un étonnant pastiche de reggae, et Michael Jackson le temps d’un Vem Rei. Ce thème fournit le titre d’un recueil où il faisait l’éloge du créole et du cannibale, comme une autoanalyse de la nature de cet Afro-Brésilien qui aura tant et tant dévoré de musiques. Son dernier disque, Da Hora, sorti en 2019, le montrait nu, guitare à la main, regard penché. C’est cette image en couverture que l’on gardera en mémoire, celle d’un artiste qui pouvait toucher la grâce dans le plus juste dépouillement.