Il faut voir Yung Lean dans le clip de Babyface Maniacs, deuxième single de ce cinquième album attendu depuis 2020. Il faut l’observer avancer tant bien que mal au milieu de structures en béton pendant que des flèches pénètrent son corps par dizaines, jusqu’à ce qu’il s’effondre. Il faut l’entendre répéter inlassablement la même rengaine («Je suis en fuite, en fuite de tout le monde») sur un riff de guitare saturé, tel un slacker des années 1990, avant de se relever et d’annoncer plus clairement ses intentions («Allons nous amuser»). On comprend alors qu’il n’a toujours fait que ça, chanter un mélange de colère, de frustration et d’aspiration à la libération. Sa déjà longue discographie est une inépuisable variation autour du thème «on tombe, on se relève» et ce nouveau long format va encore plus loin dans l’exploration de ses sentiments. Les plus troubles comme les plus intimes.
En compagnie ou non de Daniel Lopatin (Oneohtrix Point Never), qui a supervisé la production de Jonatan, Yung Lean a visiblement écouté beaucoup de punk et de hardcore ces dernières années. Cela s’entend dans ses paroles, qui ressemblent à s’y méprendre à celles qu’auraient pu chanter Black Flag ou Fugazi. Cela s’entend également a ces mélodies dans une veine rock maussade, passé au filtre d’influences post-punk et emo, sans s’interdire, là est sa force, des orchestrations de cordes et quelques refrains pop. Dans cet album, de Jonatan à Lessons From Above, il n’est plus vraiment question de cloud rap, ce genre grâce auquel Yung Lean s’est taillé une jolie réputation ces dix dernières années, jouant des coudes avec les cadors du genre, de Travis Scott à Playboi Carti. Au flow comateux, noyé sous des tonnes d’effets, le Suédois préfère désormais se la jouer crooner, sans jamais tomber dans l’exercice de style, sans jamais oublier de mettre sa voix au service d’un son à la beauté négligée. Forever Yung dit l’un des singles : à tout juste 29 ans, le Suédois tient là le plus beau des mantras.
Yung Lean Jonatan (World Affairs /AWAL)
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