On se croirait presque dans une chanson country de Hank Williams : «Pull the pirogue, we’ll have big fun on the bayou.» A ceci près que dans Sans retour (1981), si tout commence aussi par une pirogue empruntée pour traverser le fameux marécage de Louisiane, il n’y a guère de plaisir à la clé, mais plutôt une saison en enfer car c’est très exactement là où elle nous mène : dans le bayou poisseux et inextricable, où une escouade de la garde nationale américaine, en manœuvre en plein fief cajun, sera prise en chasse par des braconniers du cru, contrainte de lutter pour sa survie, pratiquement désarmée, dans une jungle hostile (leurs fusils n’étant chargés que de balles à blanc), face à un ennemi presque invisible mais redoutable car connaissant parfaitement son territoire.
Ainsi s’ouvre le cinquième film de Walter Hill dont on reconnaît le style sec et brutal, allié à un certain formalisme touchant à l’abstraction – la forêt et ses arbres immenses figurant une sorte de prison végétale par exemple. Mais si avec Driver (1978) et les Guerriers de la nuit (1979), le cinéaste traçait à traits rageurs la charte esthétique de ce qu’allaient être les années 80 (stylisation des motifs, vitesse, nuit urbaine, néons et effets de surface), Sans retour réalisé à l’orée de la décennie, semble plutôt regarder dans le rétroviseur du Nouvel Hollywood. Tout d’abord d’un point de vue purement formel – une certaine grâce brouillonne de l’image, une progression languide du récit émaillé de pics de violence, un climax final tout en montages alternés et ralentis, inspirés de Peckinpah avec lequel Hill avait travaillé sur Guet-apens. Mais surtout par sa matière, les traumas d’une génération dont il fait écho. A commencer par la guerre du Vietnam dont le film tout entier pourrait être une relecture allégorique, bien que Hill s’en soit toujours défendu – «J’écris des histoires pas des métaphores», grommelle-t-il dans un bonus.
Pauvres gars paumés
Difficile pourtant, face l’enlisement de ces pauvres gars paumés dans les marais, piégés par des autochtones cajuns aussi vifs que des indiens rompus aux lois de ce biotope piégé, de ne pas penser au bourbier vietnamien, ne serait-ce que parce que l’action se passe en 1973, pile au moment où l’armée américaine, malgré sa supériorité militaire, ne parvenait pas à contenir les assauts vietnamiens et s’apprêtait à jeter l’éponge.
Difficile également de ne pas inscrire Sans retour dans la lignée de Délivrance, étendard d’un maître genre des seventies : le survival. Comme dans le film de John Boorman, ce qui cimente le petit groupe c’est un certain mépris de classe, d’abord à l’égard des cajuns perçus comme des rednecks, des bouseux un peu frustes – une mauvaise blague à leur encontre déclenchera les hostilités –, mais également au sein même de l’équipe, où des affrontements ne tardent pas à éclater, métaphore d’une Amérique divisée, gangrenée par la violence. Enfin par sa stupéfiante maîtrise de l’espace, son usage flippant du hors-champ, ses trouées quasi fantastiques dans une nature indomptable aux menaces invisibles, c’est un autre chef-d’œuvre du survival auquel on songe et dont Sans retour pourrait bien être la matrice secrète : le Predator de McTiernan.