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A béton rompu

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Raffles City est un projet commandé à l'architecte Moshe Safdie. Sur la pointe du district de Yuzhong, à la rencontre du Yangtsé et de la rivière Jialing, à la fois massives et élancées, ses 8 tours de logements et bureaux culminent pour certaines à plus de 300 mètres et symbolisent la croissance fulgurante de la ville. (Cyrus Cornut)
publié le 3 avril 2021 à 19h09

L’obsolescence programmée d’une photographie a une dimension tragique. Il suffit d’un déclic pour que ce qu’elle nous montre ne soit déjà plus là, englouti par l’espace-temps. Et ceci est particulièrement vrai d’une photographie prise en Chine ces dernières années, où l’espace et le temps défient les lois connues de la physique. Quand, en 2017, Cyrus Cornut, muni d’un appareil grand format, pose son trépied sur les rives du fleuve Yangzi, à Chongqing, il prend son temps, justement, pour faire entrer patiemment dans son cadre les éléments d’un tableau parfaitement composé. Il y a là un bateau amarré à la berge, une femme qui donne la mesure de l’échelle humaine, des broussailles de végétation quasi sauvage qui ondulent gracieusement et, en arrière-plan, sous un voile de brume humide et polluée, une silhouette menaçante de vaisseau spatial hérissé de bulldozers. A Chaotianmen, à la pointe du district de Yuzhong, là où se rencontrent le Yangzi et la rivière Jialing, un gratte-ciel démesuré s’élance à toute vitesse dans les airs, tellement immense qu’il paraît être l’œuvre de notre imagination anxieuse plutôt que celle des hommes et de leurs pelleteuses. On ne sait d’ailleurs pas trop ce que voit la petite femme en bleu sur l’image : regarde-t-elle avec nostalgie les résidus de nature laissés au lit de la rivière ou rêve-t-elle à la vie meilleure que promet cette architecture digne de Blade Runner ?

Chongqing, sur les quatre rives du temps qui passe a obtenu le prix