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A la MEP, Iris Millot et la rebelle Hélène

La jeune photographe investit un espace de la Maison européenne de la photographie à Paris, où elle retrace, dans une série nimbée de pudeur, la vie de sa grand-tante, ancienne militante féministe qui vit seule à la campagne depuis une quarantaine d’années.
«Le Cafoutch d'Hélène» (2023). (Iris Millot)
publié le 9 mars 2024 à 9h52

Même englouti dans l’offre profuse des Rencontres d’Arles 2023, son sujet n’était pas passé totalement inaperçu. Du moins avait-on été sensible à la simplicité singulière de l’écriture d’Iris Millot (née en 2000), cohabitant à côté de la gare, à Ground Control, sous le titre générique fort évasif «Une attention particulière», avec deux comparses diplômés comme elle de l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles. Aussi se félicite-t-on de la voir désormais occuper seule tout un espace (le Studio) de la Maison européenne de la photographie, juste en dessous d’Annie Ernaux.

Des Bouches-du-Rhône à Paris, l’histoire est la même : intitulée «Le soleil passe à l’embranchement», elle éclaire l’existence d’un être que peu de ses congénères ont eu un jour l’occasion de croiser. Si elle ne vit pas à proprement parler recluse, cette Hélène nous apparaît en effet en retrait du fracas contemporain, elle qui, depuis une quarantaine d’années, habite une ferme, en symbiose avec une nature qu’elle révère, sans toutefois nier le lourd tribut d’une solitude qui a aussi un coût social, affectif et économique élevé. Ancienne militante du MLF, l’ermite est la grand-tante de la photographe. Un demi-siècle et quelques centaines de kilomètres séparent les deux femmes qui avaient coupé les ponts depuis une douzaine d’années, avant qu’Iris Millot ne reprenne langue avec ce «personnage de conte, gardienne de récits qu’il est important de préserver, de transmettre».

«Une forme d’épaisseur archéologique»

Dressant l’inventaire de ces menus éléments composant la mosaïque d’une existence à petit bruit, la cadette enfile alors des gants en soie pour perquisitionner le domicile d’une hôte qui se dévoile sans jamais franchir le seuil de l’impudicité. Au noir et blanc d’une fenaison baba ou d’un agneau dans les bras d’une paysanne souriante – dont on devine qu’il s’agit de l’Hélène des premiers temps radieux –, succèdent la couleur du cadavre d’un oiselet gisant sur le tableau de bord poussiéreux d’une voiture, le fatras d’une remise ou la torpeur d’un traversin posé sur un matelas. «Dans cet endroit, il y a une forme d’épaisseur archéologique, des histoires qui se superposent comme des strates», précise le texte de présentation. De fait, dénuées de cartels, les images allusivement explicites parlent d’elles-mêmes, qui charrient leur lot d’utopies et de fantômes, de joies diffuses et de douleurs muettes. Encadré, un petit texte manuscrit révèle : «J’ai toujours omis de dire que j’habite un endroit où pour aller chercher mon courrier, je dois parcourir 7 km 200 A.R. Quel chaos et quel désert ma vie !» La confession date de 1998. Pour autant, un quart de siècle plus tard, l’indomptable n’a toujours pas quitté la tanière du Mont Lion. Comme quoi…

«Le soleil passe à l’embranchement» d’Iris Millot, Maison européenne de la photographie (75003), jusqu’au 7 avril.