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Libération
Hors la loi (5/5)

EN IMAGES - A Londres, faut laisser pisser

Il n’y a pas que le «hors champ» ou le «hors cadre»… Cet été, le service photo de «Libération» invite à découvrir d’autres espaces en marge. Aujourd’hui, l’esprit libre de la Londonienne Sophy Rickett.
(Sophy Rickett)
par Tess Raimbeau et photos Sophy Rickett
publié le 3 août 2024 à 1h03

L’insouciance est un pouvoir dont on ne soupçonne jamais la force. C’est ce que pisser en extérieur est pour un homme : un geste léger, insignifiant. Pour une femme, c’est un calvaire et Sophy ­Rickett se prend cette injustice en pleine face à 24 ans, lors d’un festival de musique, alors que les options qui s’offrent à elle sont plus désagréables les unes que les autres : une queue interminable devant des toilettes dont les odeurs repousseraient le plus anosmique d’entre nous, sautillant pour se retenir, ou la quête épique d’un recoin ­caché toujours introuvable en festival, pour finir par découvrir son postérieur devant des dizaines de regards désapprobateurs. Dans tous les cas, le sentiment de jalousie face à la désinvolture masculine est d’une puissance rare.

Cette idée galope dans l’esprit de la Londonienne. Elle s’entraîne sous la douche, convaincue que les femmes aussi peuvent pisser debout. En 1994, alors qu’elle embrasse un nouvel emploi au Financial Times, à la fois amusée et critique de ce nouvel univers corporate et de ses codes, elle complote avec son amie Rut Blees Luxemburg et, ensemble, elles affinent un plan de résistance. Le résultat de ces discussions espiègles est la fantastique série «Pissing Women», où elles se photographient l’une après l’autre, bien campées et jambes écartées, un arc parfait s’écoulant sans jamais effleurer une cuisse. Maîtrise olympique.

Tous les emblèmes de pouvoir sont là, tailleurs bien coupés et bâtiments choisis attentivement : le M16, siège des services secrets britanniques, les British Telecom à Silvertown, et l’environnement postmoderne corporate de Old Street. «Ces trois lieux ­représentent les facettes clés de l’économie capitaliste occidentale contemporaine : la sécurité, la communication et la finance.» La performance choque parfois, leur valant des confrontations avec la police, mais reçoit aussi une réception enthousiaste, avec ­expositions, livre – et excursions inévitables dans d’obscurs blogs à la gloire de la golden shower. Dans ses images résolument modernes, Sophy Rickett transmet brillamment ce qui l’agite : l’exaltation d’occuper des espaces interdits aux femmes. Un féroce sentiment de liberté.

Sophy Rickett, née en 1970, travaille à Londres et dans le Devon.