
Dans l'œil de Libé
EN IMAGES - Les Iles du désir (3/4) : «L’Archipel du Troisième sexe», par le photographe Richard Pak
publié le 22 avril 2025 à 8h15
Pour ce projet, Richard Pak s'est rendu dans l'archipel des îles de la Société (à Tahiti et Moorea) où il a passé trois semaines en 2022.
Richard Pak/Grande Commande PhotojournalismeRichard Pak explique qu'il a réalisé ce travail dans le cadre de la grande commande photographique du ministère de la Culture (Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire). «Je voulais, dit-il, que ma proposition pour cet appel à candidature intègre mon cycle sur l’insularité. J'ai consulté des sites scientifiques (HAL et Cairn notamment), c'est ainsi que j’ai découvert pas mal de publications sur ce sujet qui m’a très vite intéressé.»
Richard Pak/Grande Commande Photojournalisme«Au début du XXème siècle par exemple, explique le photographe, nombre d’anthropologues font part d’exemples de différentes classifications de genres dans la sphère polynésienne. L’appellation de “troisième sexe” est née des recherches de ces scientifiques qui ont été confrontés à ces “hommes-femmes”, tels les mahus de Tahiti. L’adéquation, en Occident, entre sexe social et sexe biologique peuvent n’être fondées que sur un arbitraire dont l’aire polynésienne ne s’accommode guère.»
Richard Pak/Grande Commande PhotojournalismeQuelle est la différence entre les mahu et les rae rae ?
«Les premiers voyageurs, missionnaires, marins ou marchands apportent des témoignages sur l’existence de l'“homme-femme” dès les premiers contacts avec le monde polynésien. On parlait alors du māhū tahitien (mais aussi des fa’afines aux Samoa ou encore des fakafefines à Tonga) pour désigner les hommes qui menaient des activités de femmes et s’habillaient éventuellement comme elles.
Dans la continuité des mahu, l’apparition des rae rae est plus récente et correspondrait lors de la Seconde Guerre mondiale à l’arrivée de milliers de soldats américains, puis français, sur les îles. Les rae rae vont bien au-delà des mahu dans la recherche d’une féminité aboutie et peuvent avoir recours à la chirurgie esthétique et plastique.»
Richard Pak/Grande ommande Photojournalisme
Comment se sont passées vos rencontres ?
«Je les ai trouvées et contactées en amont de mon voyage, pour la plupart via les réseaux sociaux, notamment les participantes au concours de Miss Vahine Tane (vahiné veut dire femme en tahitien, et tané... homme). J’en ai rencontré d’autres sur place grâce à la complicité de “Cousins Cousines”, une association de défense des droits LGBT. Je leur ai donné rendez-vous un soir dans un bar à Papeete pour leur exposer mon projet. Attablé avec une demi-douzaine de raeraes la scène était cocasse… La caricature du popa’a (occidental) qui vient s’encanailler sous les tropiques ! On a bien rigolé. La plupart était très enthousiastes à l’idée de participer.»
Richard Pak/Grande Commande Photojournalisme«Pour les prises de vues, je me suis inspiré des photographies des premiers occidentaux qui découvraient l’île et qui sont à l’origine d’une imagerie qui perdure un siècle et demi plus tard. J’ai choisi de recréer des ambiances similaires : devant une cascade, dans une forêt tropicale ou sous les palmiers d’une plage exotique. J’ai photographié en numérique mais le rendu des œuvres - en noir et blanc, avec peu de profondeur de champs, etc. – invite à se demander si les photos n’ont pas plutôt été prises à la chambre analogique grand format comme les procédés anciens.»
Richard Pak/Grande Commande PhotojournalismeEt cette figure de la vahiné : de quand date-t-elle ?
«Depuis que les explorateurs du XVIIIème siècle la découvre, les regards euro-centriques sur les femmes de Tahiti en ont fait l’objet de désir masculin. La figure de la vahiné a été si souvent reprise dans les écrits sur Tahiti qu’elle est devenue en quelque sorte une métaphore du lieu. Le choix de les photographier selon les codes iconographiques de la vahiné m’est apparu comme une évidence pour bousculer cette représentation profondément hétéronormée.»
Richard Pak/Grande Commande PhotojournalismeD'ordinaire posent-elles de cette manière ?
«Non, à ma grande surprise c’était la première fois. Ces mises en situation leur permettent d’affirmer tant cette féminité qu’elles revendiquent que leur appartenance à la culture polynésienne. Elles ont tout de suite été conquises par mon idée et m’ont largement aidé à trouver des lieux et des accessoires (couronnes de fleurs, paréos, etc.).»
Richard Pak/Grande Commande PhotojournalismeComptez-vous poursuivre cette série ?
«Oui je souhaite la poursuivre avec une seconde partie en France métropolitaine ! Si la société occidentale se montre plus ouverte à la visibilité des minorités de genres, cette évolution n’est pas nouvelle en Polynésie et c’est pourquoi j’ai choisi de m’y intéresser. Mais en échangeant avec mes modèles j’ai découvert que leur situation n’y est pas non plus parfaite et idyllique. Certaines, bien souvent pour des raisons familiales, se sentent poussées à l’exil et viennent ainsi s’installer en métropole. Ce sont ces femmes, vahinés orphelines de leur île, que je veux photographier et intégrer à ce travail.»
Richard Pak/Grande Commande Photojournalisme«Lors de mes recherches préparatoires dans le corpus des pionniers de la photographie polynésienne, dont Lucien Gauthier, j'ai été surpris de constater que si la majorité des portraits avaient été réalisés dans le genre pleinairiste d'autres ont été faits en studio... devant un fond peint en trompe-l'œil. C'est ce protocole que je veux utiliser. Là encore le regardeur sera amené à questionner ce qu'il voit : sommes-nous vraiment à Tahiti... ou dans un studio parisien ?»
Lucien Gauthier