
Dans l'œil de Libé
EN IMAGES - «Refuges» d’Emeline Sauser : se reconstruire après les tempêtes
Par
Emeline Sauser
publié le 16 mars 2025 à 12h37
Emeline Sauser raconte sa rencontre avec Héloïse : «Avec la famille Iriberri, nous nous sommes rencontrés au lac d’Estaing, dans les Pyrénées.»
Emeline Sauser«Héloïse Iriberri est apparue : abritée sous une veste en jean tendue comme un parapluie. Elle était apprêtée d’une longue robe sombre, ses bottes à talons s’enfonçaient dans la terre humide, on a tous tourné la tête, incrédules.»
Emeline Sauser«Le contraste était drôle : elle comme une fée au milieu de nous, foule boueuse et ruisselante. Je découvrais l’effet Héloïse.»
Emeline Sauser«La mère, Pauline, tondait ses moutons. Elle m’a invitée à venir chez eux, à La Réole, quand la transhumance serait terminée.»
Emeline Sauser«Héloïse a été déscolarisée après avoir subi du harcèlement scolaire pendant un an et demi. Suite à cette période, elle a créé un monde imaginaire, fait de glamour et de paillettes, depuis sa caravane qui lui sert de chambre-bulle au milieu de l’exploitation familiale.»
Emeline Sauser«Ce monde magique est en décalage avec la réalité autour : la vie de ferme, de brebis à traire, de fromage à faire, de cochons à tuer, de mal de dos et de chiots trempés.»
Emeline Sauser«Cette année est probablement la dernière année d’Héloïse avant son départ pour Paris. Quelques mois pour trouver un peu de confiance, une année pour définitivement s’en foutre de ce que pensent les voisins, les gens du village, le monde, et puis peut-être s’envoler.»
Emeline SauserDécoupée en plusieurs chapitres, la série d'Emeline Sauser suit différents personnages. «Nous nous sommes rencontrés avec Philippe au bar du village, à Lasalle. La première chose que je vois de lui, c'est son chien. Dans la pénombre tout au fond du bar, monstrueux, au pied du maître, bavant en longs filets sur le carrelage. J’ai abordé Philippe à cause de son visage. Il a fini sa pinte puis il a dit "Viens à la maison si tu veux".»
Emeline Sauser« Dans la voiture, je lui avoue que j'ai peur du chien. Il rigole, beaucoup. Il dit y’en a deux autres à la maison, des chiennes de garde, corses, elles seront pas méchantes si t’es avec moi. On arrive sur le chemin qui mène au terrain, déjà les chiennes aboient en courant autour de la voiture.
Philippe est agriculteur. Elisa, sa fille aînée, est revenue habiter ici près de lui, elle sent que son père vacille. Le tracteur à lâché et les questions d’argent sont de plus en plus pesantes, les prêteurs s’accumulent. Il y a des jours où Philippe se meut dans une cape de silence, le visage fermé, le regard introuvable.»
Emeline Sauser«En vérité, on ne se connait pas encore bien. Je ne suis venue les voir que deux fois. Hier il a dit "Mes refuges sont mes filles et mon jardin."»
Emeline Sauser«Nous nous sommes rencontrés avec Heidie et Gäetan, à la fin du mois de septembre, dans une ruelle de Foix. La nuit allait tomber, l’air était doux. La première fois que je les vois, ils sont enlacés sur un banc, un peu ivres, l’air de flotter dans une espèce de coton qu’on appelle amour ou bonheur. Leur béatitude saute au visage.»
Emeline Sauser«C’est Heidie qui parle, Gaëtan la regarde. Elle raconte comment ils viennent de se sauver, ils se sentent en cavale. Heidie s’est barrée, comme elle dit, d’une relation destructrice qui a duré plusieurs années. Elle a eu un bébé avec cet homme, une petite fille. Le bébé est resté avec le père, pour l’instant. Son ivresse est aussi une délivrance après des années d’enfermement.»
Emeline Sauser«Ce qui a décidé Heidie à partir, c’est Gaëtan, le jeune homme assis en face d’elle, qui la mange des yeux. C’est cette force d’être deux, de ne pas se retrouver seule. Heidie le dit, elle a besoin d’un homme dans sa vie. Elle raconte comment ils se sont rencontrés : elle faisait ses courses et Gaëtan travaillait au supermarché, coup de foudre immédiat et mutuel. Puis tout est allé très vite. Ils ont trouvé un mobil-home pas cher dans un camping à une centaine de kilomètres de leur village, pour tout recommencer.»
Emeline Sauser«A partir de cette soirée, Heidie me laisse entrer dans sa vie et photographier la fragilité de cette période où tout est à faire, mais tout menace de s'écrouler : leur amour naissant et fougueux, le procès de plusieurs mois contre le père de sa fille, le stress de trouver de l’argent, le retrait de permis de Gaëtan, les milliers de kilomètres en voitures dans toute l’Ariège pour aller au travail et en chercher, pour aller voir sa fille le temps d’un week-end ou d’une journée.»
Emeline Sauser«Au fil des mois, leur histoire d’amour tient malgré la jalousie, les disputes, l’angoisse de ne pas voir grandir sa fille et l'immense fatigue de ces journées. Le cerveau d’Heidie bout souvent, elle se lève très tôt pour embaucher à la boulangerie, elle travaille beaucoup et son trouble bipolaire transforme les émotions en cocottes-minute prêtes à exploser.»
Emeline Sauser«Puis elle pense souvent à sa fille, elle la voit peu. Heidie m’a dit un jour qu’elle se sentait comme une funambule, entre le fil et le vide en permanence.»
Emeline Sauser«Ce qui fait refuge, c’est la puissance de l’amour entre Heidie et Gaëtan. Ils sont liés, avec la force des gens persuadés que le monde est contre eux.»
«Refuges», la série en cours d'Emeline Sauser, a été soutenue par la Bourse Laurent-Troude.
Emeline Sauser