Un message Instagram annonçait mercredi 20 septembre au soir la mort d’Erwin Olaf, le plus célèbre et prolifique photographe néerlandais : «Il y a quelques semaines, Erwin a subi une transplantation pulmonaire. Il semblait s’en remettre. Puis soudain, son état de santé s’est détérioré rapidement. Il n’a pu être réanimé», dit sobrement le faire-part illustré par une de ses photographies de fleurs noires en arrière-plan. Erwin Olaf est mort à 64 ans après avoir lutté depuis 1996 contre une maladie qui l’a conduit jusqu’à la greffe du poumon. Atteint d’un emphysème pulmonaire, qui détruit les alvéoles, le Néerlandais ne cachait pas le mal dont il souffrait. Il s’en inspirait même pour des autoportraits. Le triptyque I Am, I Wish, I Will Be (2009) le montre en trois temps : d’abord en bonne santé, puis torse nu et sexy, les pectoraux retouchés selon son idéal masculin, et enfin intubé, bouche ouverte et regard halluciné. S’il avait appris à vivre avec la maladie, Erwin Olaf savait la dégradation physique inéluctable et la gêne respiratoire croissante. Menacé par cette épée de Damoclès, l’artiste qui s’était spécialisé dans la photographie de mode rencontrait un immense succès pour ses images à l’esthétique glamour et sombre, empreintes d’une grande mélancolie.
Son style très personnel, sophistiqué, usait des potentialités du studio en misant sur un éclairage quasi pictural dans des compositions et des mises en scène très formalistes. Il considérait d’ailleurs ses photographies comme des scénarios qu’il teintait d’un trouble, entre dépression, sadomasochisme et atmosphère fantastique. Militant LGBTQ +, Erwin Olaf avait été anobli aux Pays-Bas pour son travail de défense des droits de la communauté homosexuelle. Après quarante ans de carrière, il avait été accueilli par le roi Willem-Alexander et la reine Máxima des Pays-Bas, en mars au Palais Noordeinde à La Haye afin de recevoir la médaille d’honneur pour l’art et la science de l’ordre de la Maison d’Orange, un prix décerné aux personnes émérites dans les domaines de l’art et de la science. En 2017, le photographe avait d’ailleurs immortalisé la famille royale dans des portraits en gros plans très peu conventionnels – pas vraiment cafardeux non plus. Les grands musées de La Haye et d’Amsterdam lui avaient récemment consacré des rétrospectives.
«Créer l’émotion»
Erwin Olaf, fils d’un représentant de commerce, est né en 1959 à Hilversum, dans le centre des Pays-Bas. Enfant, il écume les musées néerlandais, où la peinture flamande forme son œil. Mais il n’a qu’une idée en tête : quitter son village. «Au lycée, un prof m’a demandé quel métier j’envisageais, racontait-il à Libération en 2010. Comme il était très macho, je n’ai pas osé lui répondre “acteur” par peur qu’il comprenne que j’étais gay. Alors, j’ai dit : “Je ne sais pas.” Et là, il m’a suggéré le journalisme. Ces études avaient l’avantage de me faire partir à Utrecht, de me faire quitter ma petite ville de Hoevelaken, ce dont je rêvais. Dès que j’ai découvert la photo, ça en a été fini du journalisme, même si j’ai un temps couvert l’actualité pour des journaux gays. Ce qui m’intéresse, c’est exprimer mon imaginaire et créer l’émotion, pas enregistrer la réalité.»
Ses premières séries témoignent effectivement d’un imaginaire singulier et provocateur. Elles ressemblent à des tableaux en noir et blanc qui font voler en éclat les tabous. Dans l’inquiétante Chessmen, série qui lance sa carrière et rappelle l’esthétique de Joel-Peter Witkin, des femmes obèses, des personnes atteintes de nanisme ou une femme enceinte en bottes vernies noires figurent les pièces d’un échiquier. Ces personnages sont ligotés et bâillonnées, parfois même en décomposition. Dans Squares, on retrouve cette esthétique sadomasochiste. Là, un Apollon blond ouvre une bouteille de champagne qui gicle entre ses cuisses. Toujours dans cette série, qui met en scène une vieille femme obèse, un bébé, une femme qui vomit des bijoux, Erwin Olaf se représente le visage recouvert de grosses gouttes comme après une éjaculation faciale. Dans l’excellente Fashion Victims, des personnages, les visages recouverts par des sacs de marque de luxe (Gucci, Yves Saint Laurent, Calvin Klein…) exhibent leur sexe dans un érotisme noir. Morts par asphyxie et sexe hantent la mode et la consommation, semble dire le photographe.
Diaporama
C’est ce style fétichiste, jouant avec les interdits, qui a fait donc fait son succès. Ces dernières années, Erwin Olaf s’est plutôt assagi en s’intéressant au paysage dans Palm Springs, qui peint des villes en transition, suite de Shanghai (2017) et Berlin (2012). En 2020, tel un peintre romantique du XIXe siècle, il se photographie de dos devant une falaise, inspiré par le tableau le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich. Cette série, Im Wald, lui a été soufflée dans la forêt bavaroise par la surexploitation forestière et la destruction de la planète.
Sa galerie parisienne, la galerie Rabouan Moussion, montrait l’année dernière Dance in Close-Up, un hommage à son ami Hans van Manen, premier chorégraphe à avoir créé un duo d’hommes. Toujours sensible au tragique du monde, Erwin Olaf avait réagi aux attentats de Charlie Hebdo et au confinement dans des mises en scènes puissantes et spleenétiques. Il savait aussi rire du désespoir. Fasciné par les clowns, de Pierrot lunaire au Joker, il a réalisé une série d’effrayants visages maquillés et s’est photographié en clown blanc, déambulant seul sur un parking de supermarché avec un chariot vide. En France, le festival Portrait(s) à Vichy présentait son travail sur l’esplanade du lac d’Allier cet été. Cette exposition, La beauté est un leurre, est prolongée jusqu’au 29 octobre 2023.
Mis à jour le 21/09/2023 à 15:25 avec la prolongation de l’exposition à Vichy