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Libération
«Polaroid : Interior/Exterior»

Le photographe Robby Müller, en Pola position

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En marge de ses tournages, le chef opérateur néerlandais, qui a travaillé avec Wim Wenders et Jim Jarmusch, a pris des centaines d’instantanés, des images sans artifice dont une sélection est publiée dans un coffret «Polaroid : Interior /Exterior».
Los Angeles, Kensington Hotel, 1984-1985. (Robby Müller)
publié le 6 janvier 2024 à 9h57

Une rangée de tours alignées sous un ciel rouge carmin, plein de bruine maléfique et de lueurs sanglantes. Au premier plan, plongée dans l’obscurité, une rue d’entrepôts louches et d’immeubles aux façades encrassées – des utilitaires garés au jugé, un panneau faisant la promotion de «La Boîte à outils». Et dans le coin, tout en bas à droite de l’écran, unique porte de sortie, seule source de vie, la devanture d’un établissement d’où filtre à travers les rideaux une douce lumière dorée – Café Abdallah Restaurant. Le tableau est saisissant, pourtant vous ne le verrez comme on vient de le décrire que si vous gelez l’image et vous arrêtez volontairement dessus, parce qu’il n’est qu’un des plans du film dont il est tiré : l’Ami Américain de Wim Wenders, sorti en 1977. On aurait pu tout aussi bien prendre celui, plus tôt, d’une Volkswagen orange garée face au port de Hambourg, contrastant avec le bitume humide, métallique, et l’horizon de grues en arrière-plan, éclairé par un soleil rasant. Ou plus loin, cette table de billard baignant dans un vert-bleu de science-fiction rehaussé d’irréels reflets cuivrés. Si le métier de chef opérateur a ses stars multiprimées (Darius Khondji, Vittorio Storaro, Emmanuel Lubezki), Robby Müller reste l’une des seules vraies légendes de la profession. Le Néerlandais, à l’œuvre depuis 1965 et décédé en 2018 à l’âge de 78 ans, estimait que la magie d’un film reposait sur le fait que le spectateur puisse croire «à la réalité de son éclairage