
Dans l'œil de Libé
Les coups d’œil et de cœur du service photo de Libé sur 2024
publié le 4 janvier 2025 à 10h52
Parmi les mouvements sociaux couverts par Libération cette année, celui de MA France (sous traitant de Stellantis laissant plus de 400 employés sur le carreau) nous catapulte dans un élan de solidarité plutôt costaud.
Aux abords de l'usine occupée nuit et jour, ce depuis 132 jours à Aulnay-sous-Bois ce 28 août, c'est grillade de maquereaux et piscine gonflable au menu. Une bouée licorne au coin du bassin atteste du passage de bambins certainement venus embrasser un parent occupant l'usine et faire un plouf par la même occasion, entre deux montagnes de palettes immobiles. Un plongeon suspendu dans un rayon de soleil pour adoucir ces moments de luttes, et constater que la solidarité est toujours là. Nadja Delmouly
Stéphane Lagoutte/Myop pour LibérationLa chute de la dynastie Assad début décembre a été, pour la majorité des Syriens, l'occasion de célébrations exaltées. Pour quelques autres, c'est un abîme de douleur qui s'ouvre, en même temps que les portes de la prison de Sednaya se déverrouillent. Des centaines de familles se pressent devant ce système carcéral dantesque, tentant de trouver un fils, un frère, un ami. Quelques jours plus tard, les chances de trouver des vivants sont inexistantes, et on cherche trace de ses morts entre les documents qui volent au vent et les corps, déformés par la torture, débordant de la morgue. Cette scène, d'une femme recevant des informations concernant son fils, captée par le photographe Emin Ozmen, est le symbole des conséquences de 54 ans d'un règne de la terreur. Tess Raimbeau
Emin Ozmen/ Magnum Photos pour LibérationLe 2 septembre 2024, premier des nombreux et longs jours du procès des viols de Mazan. Je redécouvre cette photo après près de quatre mois à regarder quotidiennement les mêmes visages, les mêmes scènes défiler sur nos écrans. Avec le recul, cette image sort du lot et me rappelle que ce procès est aussi l’histoire d’une famille qui a affronté le pire et l’a dévoilé au monde. Ces trois personnages qui nous étaient alors inconnus (Gisèle Pelicot, entourée de sa fille Caroline et d’un de ses fils, David) semblent partager un dernier moment d’intimité furtif avant la déferlante judiciaire et médiatique. Leurs corps liés dans un moment d’unité familiale me touchent profondément et transmettent quelque chose d’universel qui ressuscite de nombreuses questions soulevées par ce procès. Marie Audinet
Arnold Jerocki/LibérationDes corps nus entrelacés sur la façade d'un immeuble. Dans la cour, un couple mi-plante mi-humain déambule en semi-transparence. A l'origine de ces images oniriques, un supplément spécial Immobilier à illustrer. Sujet sérieux et pragmatique dont s'est emparée Henrike Stahl, photographe ultra-créative , qui, sans jamais être hors sujet, a métamorphosé les problématiques de l'immobilier d'aujourd'hui : des femmes et des hommes vivent dans des habitats, louent des appartements, rêvent d'acheter un jour une maison, à rénover peut-être, afin d'y créer un foyer à la température intérieure idéale, dans un souci d'économie d'énergie, tout en cultivant leurs fibres végétales, sachant que la chaleur humaine reste essentielle face à l'urgence climatique. Mais à quel taux ?
Nathalie Marchetti
Henrike Stahle/LibérationC'est la spécialité de la photo à «Libé» : raconter un événement par son hors champ. Ici, les inondations massives en Europe centrale mi-septembre, avec un bilan de 22 morts. Plutôt que de regarder les eaux qui grignotent les maisons de Lewin-Brzeski en Pologne, les sauveteurs débordés et les rescapés accablés, la photographe Simona Supino s'attarde sur cet adolescent, assis à la fenêtre, observant l'extérieur. L'image dégage une douce mélancolie, presque une métaphore d'un été qui se termine. On pourrait ne rien soupçonner du drame qui s'opère sous ses yeux, si ce n'est pour un détail : les bottes, d'un jaune enfantin qui sèchent à la fenêtre, allégorie du changement climatique qui s'invite chez nous un peu plus chaque année. Tess Raimbeau
Simona Supino/LibérationBande de Gaza, septembre 2024. Les bombardements incessants ont transformé l’enclave en un champ de ruines. Chaque jour, des photographes et journalistes gazaouis risquent leur vie – plus de 146 sont morts – afin de témoigner des atrocités commises par l’armée israélienne, face à une population sans défense. Jehad Al Shrafi, en commande pour «Libé», vit à Khan Younès. De cette ville, il ne reste plus rien. Tout est carbonisé, maisons, immeubles, infrastructures, tout a disparu sous les décombres. Jehad m’envoie ses photos au compte-goutte. L’Etat d’Israël ayant bloqué les communications, il doit se rendre à un point précis afin d’avoir accès à internet, ce qui peut mettre plusieurs jours. Parmi ses derniers envois, une image se distingue. Elle dépasse la simple documentation de la destruction pour révéler un moment d’intimité précieux : deux petits garçons se réchauffent autour d’un feu improvisé, une scène fragile mais porteuse d’humanité au milieu du chaos. Lily Martens
Jehad Al Shrafi /LibérationMercredi 6 novembre, 8h30. Les paupières sont lourdes à «Libé», les visages défaits par une nuit de veille et de résultats déprimants de l'élection présidentielle américaine. A l'écran, un ovale orange nappé d'un blond filandreux apparaît, au son country de «God bless the USA» : Trump délivre son discours de victoire, entouré de sa famille et de sa garde rapprochée. Le photographe Julien Mignot a passé la nuit à la rédac, guettant avec obsession les différentes télés allumées, captant les expressions des politiques, des journalistes ou des fans pour raconter cette nuit sinistre. Avec une certaine pratique de la photographie d'écran – voir sa série sur les cams érotiques «Screen Love» - il fige d'un léger flou le visage grave de Trump qui quitte l'estrade, discours fini. L'image fera la une de «Libé» et le tour du monde, avec le tranchant titre «la récidive». Option 2, non retenue par le comité de rédaction mais pleine de poésie noire : «Abysses repetita». Tess Raimbeau
Julien MignotPrès de 4 000 morts, 16 000 blessés, 15 000 frappes israéliennes et des milliards de dollars de dégâts : la guerre entre Israël et le Hezbollah, commencée le 8 octobre 2023, a dévasté le Liban avant un cessez-le-feu précaire instauré le 27 novembre. Le Liban-Sud, la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth ont été particulièrement touchés par les bombardements israéliens. En octobre, la photographe Aline Deschamps se rend à Beyrouth pour «Libération». Dans le quartier de Basta, au détour d’une rue dévastée, elle rencontre un résident, venu récupérer des affaires. Il a pu fuir au moment de l’explosion, sa maison a été totalement soufflée. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, la sidération domine. Lily Martens
Aline Deschamps/LibérationL’animal politique, une espèce que nos photographes traquent toute l’année. Difficile à saisir, souvent chef de meute, en représentation, il veut maitriser son image. Animal de pouvoir, capable de dissoudre l’Assemblée en 2024, d’un coup de corne. Un véritable défilé ministériel : Borne, Attal, Barnier, Bayrou. Portés aux nues puis abandonnés, blessés, oubliés et ressuscités dans la jungle politique. A l’Assemblée nationale, du haut de son perchoir, la présidente essaye tant bien que mal de modérer les différentes meutes. Nos photographes scrutent leurs moindres faits et gestes. Parmi eux, Albert Facelly a capté chez François Bayrou ce regard de vieux lion, un habitué de cette ménagerie nationale depuis presque quarante ans. Hasard du calendrier, l’annonce de son gouvernement était le jour de notre spécial Libé des animaux. Lionel Charrier
Albert Facelly/LibérationOn l'a vu tout nu et tout bleu à la cérémonie d'ouverture des JO, on le retrouve chez lui, à Paris, pour la sortie de son nouvel album «Zouzou». La journaliste Marie Klock décrit son dernier opus en ces termes : «Un disque comme une version élargie de la photo famille» qui «regorge d'êtres aimés et de mouvement de tendresse à leurs égards». Tandis que Laura Stevens a photographié l'artiste, en toute décontraction et simplicité, à moitié étendue sur un canapé recouvert d'un tissu aux tonalités automnales. L'ensemble est réhaussé d'un bleu profond comme le voile des Madones de la Renaissance. Au-delà des couleurs, beaucoup de détails sont importants dans cette image, le regard droit et doux, la fissure au mur, les bras qui entourent la tête, et ce je ne sais quoi de captivant qui fait d'une photo, un portrait. Art que cultive «Libération» depuis trente ans, en texte et photo, avec sa fameuse «Der».
Nathalie Marchetti
Laura Stevens /Modds pour LiberationLa séquence des JO, pourvoyeuse d'émotions et de fierté avec tous les records, l'éclosion d'une nouvelle génération d'athlètes, a certainement fourni un foisonnement d'images au parterre de photographes du monde entier, postés pour documenter le sport au plus haut niveau. A «Libé», nous avons confié la carte blanche à Denis Allard. Avec un rythme olympique, le photographe s'est intégré dans les dispositifs officiels avec primauté de placement ou à l'inverse a dû se faufiler, choisir des points de vue hors bataille médiatique. Simone Biles nous a captivés par sa détermination, le cœur de la rédaction a aussi vibré aux exploits et aux exigences de publication de l'actu dans le Live. Quand Biles chute à la poutre, deux options : du hyper news ou une image hors champ produite par Denis. J'ai cette image en tête, persuadée qu'il s'agit de Biles, noir et blanc, grand écart et amplitude inhumaine, tête renversée à l'absolu, je peine à la trouver dans notre production et, pour cause, il ne s'agit pas de Biles mais de la gymnaste brésilienne Flavia Saraiva lors du concours individuel. Gravée dans ma mémoire, je continue à chercher cette image en tapant le mot-clé Simone Biles. Isabelle Grattard
Denis Allard/LibérationLe 2 septembre, la photographe Florence Brochoire, perchée sur le pont Alexandre-III, prenait cette photo du départ de l'épreuve de paratriathlon. Avec ce cadrage audacieux, elle a isolé un athlète en train de s'étirer, sur la ligne de départ. L'instant suivant, par un plongeon, l'épreuve de natation débutait. Sur ce cliché, Paris a disparu. Baignée de soleil, la Seine, opaque et calme, semble peinte d'un coup de rouleau couleur bleu vert. Ce moment doux dégage une grande dynamique. Laure Troussière
Florence Brochoire/LibérationC’était une longue enquête, difficile à mettre en mots et en images. L’histoire sidérante d’un petit groupe d’intellectuels parisiens qui ont commis des violences sexuelles sur des enfants et qu’une victime a eu le courage de dénoncer quarante ans plus tard : la bande de la rue du Bac. Beaucoup de documents d’archives, des objets à photographier et aussi des portraits. Nous avons alors choisi le photographe Cyril Zannettacci pour s’atteler à cette mise en lumière. Inès Chatin était d’accord pour témoigner à visage découvert mais pour cette enquête que nous avons publiée en plusieurs épisodes, nous ne savions pas si on allait dévoiler tout de suite le visage de celle qui raconte avoir été, de 4 à 13 ans, livrée par son père adoptif à un groupe pédocriminel au cœur de Paris. Photographier des silhouettes, des visages sans que l’on puisse reconnaître les gens fait partie des exercices du métier de photographe. Cette photo me touche particulièrement car au-delà de son esthétique d’estampe japonaise, elle me plonge dans cette enquête avec une éblouissante pudeur.
Lionel Charrier
Cyril Zannettacci /Vu' pour LibérationJ’ai confié ce collage à Camille Lévêque car elle a des archives très riches en photos de famille. Le but était de ne pas alourdir une image avec trop de concepts et c’est exactement ce qu'elle a fait. Le sujet concerne l’altérité en famille : même si les parents et les enfants partagent le même toit, ce n’est pas évident qu’ils se connaissent vraiment. L’artiste a créé le vide dans la figure des enfants pour les déplacer dans le même décor, mais ailleurs. La couleur rouge et bordeaux forme un lien avec la mère qui porte une jupe large comme une Madone du peuple dans l’iconographie classique. Les petits sont seuls et à l’aise dans leur monde. Les parents gardent leur identité vis-à-vis du photographe. Un portrait de famille d’aujourd’hui. Alessandro Zuffi
Camille Lévêque/LibérationCe portrait de la chanteuse et bassiste américaine Kim Deal, qui a fait partie des Pixies et des Breeders, date d'octobre. J'avais demandé au photographe islandais Benni Valsson qui me semble plutôt rock'n'roll de le faire. En effet, Benni était ravi. Après le RDV, il m'a dit : «Kim Deal, c'est une meuf hypernaturelle. Elle se moque un peu de l'image qu'elle donne d'elle-même. Rien à voir avec Patti Smith !» Avec son Hasselblad, Benni a shooté sur film, puis il a tiré les planches contact lui-même dans un super labo (Emulsion Lab à Paris) qui loue des cabines individuelles dédiées au tirage argentique. Les 4 portraits que l'on voit étaient collés dans le carnet de Benni lorsqu'il est venu nous voir. Ils sont chacun de teinte légèrement différente : plus ou moins de Y (pour Yellow) ou de M (pour Magenta). Avec Dylan Calves (chef adjoint au service photo) et Nicolas Valoteau (directeur artistique du journal), on a adoré cette page du carnet. Avec les petits bouts d'adhésif orange. Alors on a demandé à Benni de nous scanner la page. Laure Troussière
Benni Valsson/LibérationL'histoire raconte que plus Pinocchio ment plus sont nez s'allonge. Nous sommes le 30 juin, le soir du premier tour des élections législatives anticipées. Le RN, premier parti xénophobe de France obtient une projection de 204 à 244 sièges dans la future Assemblée nationale. Jordan Bardella déclare : «A toutes les Françaises, à tous les Français, je veux dire que je serai toujours le garant de vos droits, de vos libertés et de notre devise républicaine.» Dès le soir même, la parole raciste se libère et se déchaine. Sept jours plus tard, nous ne verrons pas de raz-de-marée du RN déferler sur l'Assemblée. Il aura suffi d'un simple jeu d'ombres portées et de hasard de positionnement d'une ampoule au plafond pour que Denis Allard nous donne à voir Bardella en pantin de bois.
Sami El Kasm
Denis Allard/LibérationCette photo est extraite d’un reportage sur les jeunes catholiques à Lille. Souvent ces gens découvrent la religion en dehors du contexte familial. Ici, les croyants sont jeunes, investis dans la vie de leur paroisse, ils entreprennent le parcours typique qui commence avec le baptême puis tous les sacrements. Cette image m’a immédiatement frappé car elle est comme sans date, la même photo aurait pu être prise il y a deux mille ans : une personne prostrée pour prier un Dieu tout-puissant. A genoux et, surtout, avec le visage presque écrasé sur le dossier de la chaise. La position est parfaite. Le photographe Stéphane Dubromel a réussi à capter quelque chose d’intime. Quelles sont les émotions de ce jeune homme ? Désespoir ? Bonheur ? Plénitude ? Tout y est énigmatique. Alessandro Zuffi
Stéphane Dubromel/LibérationPrès de Saint-Brieuc en Bretagne, une discothèque accueille un après-midi par mois, en rythmes et sous les boules à facettes, des résidents de structures pour personnes en situation de handicap. Cette initiative, qui existe depuis 2008, leur offre l'occasion de se rencontrer, de danser et de partager ensemble un moment extraordinaire dans des conditions adaptées à leurs besoins. Absence de stroboscope, puissance sonore limitée… Le Taly's ouvre sa piste à ceux qui, comme tous jeunes adultes de leur âge, revendiquent la nécessité de se détendre. Let's dance ! Emilie Rouy
Emmanuelle Pays/LibérationQuand ce sujet sur les médiums et la justice débarque, la première difficulté est d’éviter la caricature, les illustrations basiques, les boules de cristal et autres attributs fantasmés. Car c’est une histoire sérieuse que cette affaire de médiums. Nombreux sont les voyants, devins, radiesthésistes qui interfèrent régulièrement avec la police et les institutions judiciaires. Ces photos de Camille McOuat sont le fruit de longs échanges entre la journaliste, le service photo et la photographe, incluant la recherche d’un réel pendule et de cartes détaillées de la région où le petit Emile a disparu. En travaillant sur ce sujet, je découvre aussi le travail passionnant de la photographie concept qui requiert une longue préparation en amont de la production afin d’arriver à retranscrire la subtilité d’un sujet délicat. Marie Audinet
Camille McOuat/Libération