D’innombrables photos prises au smartphone, de la même pose, pour n’en choisir qu’une, améliorée à l’aide de filtres et d’applications de retouche photo, avant de la poster sur Instagram : la génération Z a grandi dans le numérique. Mais depuis quelques années, l’appareil photo jetable, avec son petit boîtier en plastique, populaire dans les années 80 et 90 puis délaissé au début des années 2000, est de retour.
«Enfant, j’en emmenais pour partir en classe verte. On prenait en photo les escargots, se souvient en plaisantant Ilan, 23 ans. A l’époque, on allait les faire développer à l’imprimerie. Aujourd’hui, on les numérise pour les poster ensuite sur Instagram», explique-t-il. La tendance est aux photos granuleuses et striées de lumières. Prises sur un appareil photo jetable, «c’est l’effet vintage et authentique» assuré.
L’effet surprise
Laetitia Diverchy, alias Tyciadchannel, photographe et influenceuse, donne des conseils de prise de vue sur sa chaîne YouTube (350K) ou sa page Instagram (222K). «Nous sommes une génération qui a le goût de faire des photos, que ce soit de soi ou de paysages. Je pense qu’Instagram a développé cet intérêt grandissant, explique-t-elle. La tendance est au vintage et aux années 90 : on le voit autant dans les fringues, les coupes de cheveux que sur les photos.» Mais les smartphones permettent aussi l’aspect rétro. C’est son côté aléatoire qui fait la spécificité du jetable.
«C’est toujours une bonne surprise, on ne sait plus ce qu’on a pris en photo», explique Ilan. C’est dans un contexte bien particulier, surtout en soirée ou en vacances, que les adeptes l’utilisent. A la recherche de spontanéité. «On fait tous des millions de photos avec son téléphone, on réfléchit, c’est calculé. Alors que là, on y va un peu comme ça au feeling et on voit plus tard ce que ça donne», explique Clara, 22 ans. Sur TikTok, le hashtag #disposablecamera («appareil photo jetable») mène à des centaines de vidéos, avec plus de 285 millions de vues à la clé. Les sections de commentaires sont souvent remplies d’informations sur l’endroit où faire développer sa pellicule et de conseils sur la façon d’éviter les photos trop sombres.
Le renouveau du papier
Si certains ne font que numériser leurs photos, Clara les imprime : «Je veux me faire une boîte à souvenirs dans laquelle je mets toutes mes photos en inscrivant la date au dos de chacune», explique la jeune femme, inspirée par les vieux albums photos de ses parents. Ce que constate Elodie Combes, gérante du magasin les Photos du faubourg, dans le Xe arrondissement de Paris : «Aujourd’hui, quasiment tous nos clients demandent une version papier. On se rend compte qu’avoir quelque chose de tangible est super important plutôt que juste le visualiser sur son écran.» Une tendance qu’elle observe depuis cinq ou six ans, et qui est corroborée par ses chiffres de vente d’appareils jetables, qui ont augmenté de 15 % à 20 % l’année dernière.
Un appareil photo jetable coûte entre 11,90 et 19,99 euros, en fonction des modèles et des marques. Un vrai budget si on compte le prix du développement : de 12 et 15 euros en fonction des magasins pour la numérisation et autour de 20 à 25 euros pour l’impression papier. Ilan et Clara n’en achètent pas tous les mois, c’est un achat occasionnel. Le même appareil peut leur durer trois mois comme une semaine. «Il y a surtout un très gros boom à la période de Noël et au moment des vacances d’été», observe Elif Karacoban, directrice du département photo du groupe Fnac Darty.
Manque de stock
La tendance est en «très forte croissance à deux chiffres», depuis sept ou huit ans, affirme Elif Karacoban. «La difficulté est que ce sont des produits en approvisionnement très tendu, on est tout le temps en pénurie. L’année dernière, on aurait pu faire fois trois si les fournisseurs avaient suivi», ajoute-t-elle. La demande est constante mais les volumes ne suivent pas, faute de fabricants et d’usines qui en font beaucoup moins qu’à la grande époque. Cela crée une forme de rareté qui ajoute au côté très prisé de cet objet d’une autre époque. «Le premier prix était à 8 euros il y a quelques années, contre 12 euros aujourd’hui», précise Elodie Combes. Les prix n’ont toutefois plus augmenté depuis plus de quatre ans.
L’appareil entièrement composé de plastique se jette après chaque utilisation. Une tendance en contradiction avec l’air du temps. Pratique et accessible, «on n’a pas peur de l’abîmer lorsqu’on l’emmène en soirée», pointe Ilan qui ne se considère pas assez passionné pour passer le cap de l’achat d’un boitier argentique. Certains craignent de perdre le côté spontané de l’appareil jetable : «Les réglages manuels peuvent faire peur au premier abord», admet Elif Karacoban. La marque d’appareils photo Lomography propose, depuis 2017, un appareil photo jetable réutilisable à 21,90 euros. «L’appareil est en plastique mais le boîtier se garde, il est rechargeable avec n’importe quelle pellicule», explique Florine Garcin en charge de la communication pour Lomography en France. Le modèle Simple Use a été top 3 des ventes de marque en 2020, et dans le top 10 de 2021. Laetitia Diverchy a testé plusieurs appareils et recommande la version compacte, en métal : «Il n’y a pas énormément de réglages à faire, contrairement à un appareil argentique», précise-t-elle. «Un bon compromis» pour ne pas avoir à racheter à chaque fois un appareil. Le sien, un Olympus MJU III 120 lui a coûté une centaine d’euros.