Elle regardait les laissés pour compte, ceux auxquels personne ne prête attention dans un monde en pleine mutation. Ses photographies de mendiants, de clochards, de balayeurs, d’enfants pauvres, de roms, à la fois tendres et sans fard, font désormais partie de notre patrimoine du regard. Œil perspicace et compatissant, Sabine Weiss est morte mardi matin à Paris, à 97 ans. Avec sa disparition, une page de l’histoire de la photographie se tourne, celle dite de la photographie humaniste qui débute après la crise de 1929 et prend son essor dans des pays laminés par le cataclysme du second conflit mondial. Comment ne pas être touché par cet enfant de marinier, en culotte et gilet troué, une bouteille plus grande que lui dans les mains, qu’elle photographia à Conflans-Sainte-Honorine en 1953 ? Et ce tout petit mendiant, le visage sale et les sourcils froncés, comme s’il méditait sur sa condition, qu’elle immortalisa à Tolède en 1949 ? Il y a aussi ce marmot avec la goutte au nez et cette fillette édentée Porte de Saint-Cloud qu’elle capta près de chez elle en 1950, sur son «terrain vague personnel» : ces galopins beaux et misérables sont imprimés dans notre mémoire collective.
Sabine Weiss, petite grande dame (1,55m) de la photographie, aimait observer les enfants, non pas parce que leur taille s’approchait de la sienne, mais parce qu’ils incarnaient la joie de vivre des rues avant l’arrivée de la télévision. Un de ses clichés les plus célèbres, un petit Espagnol fier comme Artaban