Menu
Libération
Dans l'œil de Libé

Rijasolo : le vol de zébus, de la tradition virile au réseau mafieux

Le photographe malgache a documenté la violence qui sévit dans le sud de son île. Son travail est exposé dans le cadre de l’exposition «From Antananarivo to Arles».
Novembre 2020 - Ranch Andranovory, Madagascar - Des bouviers viennent d'attraper à la corde un zébu sauvage de l'espèce "barea" afin de pouvoir le dompter et le maîtriser. Ainsi il pourra faire partie d'un convoi avec d'autres zébus qui partira d'Antsalova pour rejoindre le deuxième plus grand marché aux zébus de Madagascar à Tsiroanomandidy à environ 10 jours de marche vers l'Est. Là-bas il sera vendu à l'acheteur le plus offrant qui devra débourser environ 2 millions d'Ariary (440 euros) pour l'obtenir. Les bouviers travaillent pour un grand éleveur de bétail et peuvent être parfois issus de la même famille ou clan que celui de leur patron. Le métier de bouvier est l'une des activités professionnelles les plus pratiquées par les jeunes hommes en zone rural et dans des régions qui produisent beaucoup de zébus comme ici la région Melaky dans l'Ouest de Madagascar. Ces bouviers sont payés à la tâche : pour chaque barea sauvage capturé, l'équipe est payée 100.000 Ariary (20 euros). Les "barea" sont les zébus endémiques de Madagascar réputés plus robustes, plus imposants, mais aussi plus difficiles à dompter par rapport au zébu commun historiquement originaire d’Inde. Le zébu est un animal emblématique dans la culture malgache surtout en zone rural. Il est tantôt un outil de travail pour aider les paysans à labourer et cultiver la terre, tantôt un animal sâcré que l'on sacrifie lors de cérémonie traditionnelle pour honorer la mémoire des ancêtres. Mais c'est finalement en ville que le zébu est le plus prisé car sa viande est particulièrement recherchée par les restaurants et les ménages qui ont les moyens d'en acheter. (Rijasolo)
publié le 3 août 2023 à 10h29

A Arles, l’exposition «From Antananarivo to Arles» (1) met en valeur jusqu’au 19 août le travail de six photographes malgaches qui documentent leur pays de l’intérieur. «Ces photographes disposent de peu de moyens pour se faire connaître et mieux vivre de leur travail : presse locale peu dynamique et peu diffusée, quasi-absence de lieux d’exposition en dehors de la capitale, décrivent les commissaires de l’exposition. Le relatif isolement du pays sur la scène internationale, ses difficultés économiques récurrentes, sont des éléments qui contribuent également à cette méconnaissance de la création photographique malgache. Dans ce contexte, les talents émergents tardent à se faire connaître et à s’épanouir.» Du 31 juillet au 5 août, Libé présente le travail de ces six photographes. Ce jeudi, celui de Rijasolo couvrant les vols de zébus perpétrés par des groupes d’hommes armés qu’on appelle «Dahalo», auxquels la population rurale est confrontée quotidiennement dans les régions du sud et de l’ouest de Madagascar.

En 2013, dans le sud de Madagascar, le vol de zébus est devenu une affaire d’Etat, depuis que les Dahalo ont commencé à opérer en groupe, équipés d’armes de guerre et n’hésitant pas à recourir au meurtre pour arriver à leurs fins. Des opérations militaires d’envergure seront déclenchées afin de ramener l’ordre dans la région et les neutraliser. Ces opérations seront rapidement accusées d’avoir commis des exactions arbitraires contre les populations locales.

La tradition ancestrale qui consistait jadis à voler un zébu pour prouver sa virilité a tourné au vol massif en bandes organisées depuis les années 2010. La «pacification» de ces zones est un casse-tête pour l’Etat surtout depuis que certains députés ont été impliqués dans des affaires de vols de zébus.

On estime que 90 % de la viande de zébu consommée à Antananarivo, capitale de Madagascar, provient d’un réseau de bêtes volées, organisé comme une mafia avec des commanditaires et des exécutants. De grands éleveurs de zébu comme Louis Kasay, dans l’ouest de l’île, tentent de résister à cette terreur instaurée par les chefs Dahalo de la région et n’hésitent pas à traverser à pied leur territoire, pourtant classé en zone rouge par les autorités militaires, pour pouvoir vendre leurs zébus dans les grands marchés près d’Antananarivo.

Depuis plusieurs décennies, chaque année, le sud de Madagascar est victime d’une période intense de sécheresse qui empêche les paysans de cultiver et plonge la population locale dans une situation de famine. Le manque de développement économique dans la région et l’inaction de l’Etat incite les jeunes garçons à se détourner de plus en plus du travail de la terre et à participer à des opérations de vols de zébus qui leur permettront de mieux gagner leur vie.

Rijasolo, né en 1973, commence la photographie en autodidacte en 2000. En 2004, il amorce un travail photographique déambulatoire intitulé Miverina, qu’il achèvera en 2009 et qui témoigne de sa difficulté à retrouver un rapport intime avec Madagascar, son pays d’origine. En 2006, il suit une formation en photojournalisme à Paris et fonde le collectif Riva Press. Rijasolo vit et travaille à Madagascar.

(1) «From Antananarivo to Arles» à la galerie Aux Docks d’Arles. Commissaires : Marie Lelièvre et Rijasolo. Exposition réalisée avec l’aide du Fonds Yavarhoussen, qui soutient la création contemporaine malgache.





Images d’actualité, du quotidien, d’art ou grands noms de l’histoire de la photographie… Retrouvez dans la rubrique «En images» du site de Libération les choix du service photo du journal, qui privilégie les écritures singulières, innovantes ou étonnantes. Et parce que c’est depuis toujours une préoccupation de Libération, découvrez également nos pages Images dans l’édition du week-end.