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Photographie

«The Inhabitants» de Raymond Meeks, une expo qui laisse sans voie

A la fondation Cartier-Bresson, le photographe américain documente l’errance clandestine des demandeurs d’asile, dont il a suivi la trace entre la frontière espagnole et la région de Calais.
«The Inhabitants», de Raymond Meeks et George Weld, jusqu'au 5 janvier à la fondation Cartier-Bresson, à Paris. (Raymond Meeks/Fondation Henri Cartier-Bresson)
publié le 26 octobre 2024 à 13h42

Bien malin celui qui saurait localiser les prises de vues de Raymond Meeks alors que, pourtant, toutes sont en extérieur – ce qui, en temps normal, suffirait à fournir des indications instructives fondées sur le paysage (végétation, relief…) ou l’urbanisme. Sauf que non, pas du tout, car si topographie il y a, celle-ci s’appuie sur l’observation très spécifique des points de passage d’exilés qui, condamnés à la clandestinité, cherchent tantôt un refuge à l’abri des regards, tantôt une issue pour poursuivre leur chemin vers des cieux censément plus cléments.

De sorte que, exacerbée par un noir et blanc maussade, une atmosphère pesante prévaut, à mesure que le photographe arpente des lieux exempts de toute présence humaine, qui n’en clament pas moins – donc, plus ? – l’âpreté d’anonymes trajectoires aspirant juste à basculer un jour du bon côté. Glissière de sécurité contextuellement dérisoire, mur de pierres à moitié éboulé au milieu de nulle part, rivière tumultueuse, blocs de béton et parpaings affalés, ou ballast noyé dans la broussaille, avec, de-ci de-là, quelques vestiges miséreux d’une humanité chancelante (une chaussure, un bout de tissu pris dans une branche) : c’est, aussi, une sensation de débâcle qui s’immisce, suggérant une civilisation engloutie, où les anfractuosités renvoyant aux tanières de la préhistoire ne seraient plus que des poches de survie pour des êtres dépourvus de repères.

«Une rumeur sur l’eau»

Projet incommode, «The Inhabitants» a été mené au cours de l’année 2022, durant laquelle l’Américain Raymond Meeks a passé pas mal de temps aux deux extrémités de la France, du côté de la frontière espagnole et dans la région de Calais, jusqu’à cette Côte d’Opale qui fait face à l’Angleterre. A la fois livre et exposition (valorisée par l’accrochage), l’itinérance a été élaborée conjointement avec son compatriote, l’écrivain George Weld, qui associe ses mots – manuscrits, au crayon, et quasi indéchiffrables sur les parois de la fondation Cartier-Bresson – aux images : «Il y a un gouffre dans la nuit où le temps même disparaît, il s’arque et ressort brouillé, insensé» «L’enveloppe muée d’une cigale, coccolithe, les empreintes que laisse le corps. La chair périt, les os se fragilisent, on se calcifie» «Une perturbation, un mouvement ou un calme, une mêlée dans les dunes, une rumeur sur l’eau.»

Natif de l’Ohio, le sexagénaire Raymond Meeks est le lauréat d’Immersion. Une commande portée par la Fondation d’entreprise Hermès, qui a «pour vocation de soutenir la photographie contemporaine en France et aux Etats-Unis» par le biais d’une bourse. Laquelle permet à un plasticien établi en Amérique du Nord de venir «créer une œuvre inédite» en Europe, et alternativement l’année suivante. Imaginé il y a dix ans, Immersion a déjà, par le passé, récompensé des artistes aussi fréquentables qu’Alessandra Sanguinetti ou Gregory Halpern. Raymond Meeks ne dépare pas.

«The Inhabitants», de Raymond Meeks et George Weld, fondation Henri Cartier-Bresson, 75003, Paris. Jusqu’au 5 janvier 2025.