Se plonger dans la série de River Claure, «Warawar Wawa», réinterprétation andine du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, est un plaisir double. S’émerveiller des compositions colorées, oniriques et joyeuses du jeune photographe bolivien. Mais aussi réapprivoiser le conte adulé du navigateur français, crashé dans le désert du Sahara et dont la rencontre avec un enfant tombé du ciel est source d’innombrables épiphanies. Puisqu’il faut le dire : on ne le lit jamais assez.
River Claure commence ce projet en 2019. «Pendant des années, la représentation iconographique de la Bolivie s’est limitée à des récits occidentaux réducteurs et folklorisants», raconte-t-il. Il met alors en scène ce récit culte, transformant le prince blondinet excessivement pâle en bambin mat aux cheveux de jais, longue cape blanche flottant au vent. Il mélange savoureusement des éléments de la culture traditionnelle andine comme les cholitas aux longues tresses, avec de l’ultracontemporain, casque VR et tee-shirt du FC Barcelone. «Le projet “Warawar Wawa”, “Fils des étoiles” en aymara [une langue indigène bolivienne, ndlr], propose une identité bolivienne alternative qui, sans nier l’empreinte occidentale, est consciente de ses racines», résume-t-il. Le livre de photos du même nom, sorti en 2020, est accompagné par la première traduction du Petit Prince en aymara.
Puisque le photographe entretient le mystère, on se prend vite au jeu de piste : retrouver les personnages du récit originel. Il y a les devinettes faciles, restes d’avion dans les montagnes arides et mouton égaré. Les plus dures, qui nous font bondir de joie quand on pense les résoudre : ce personnage au rire grinçant, clope au bec et le cou chargé de babioles, ne serait-ce pas le businessman obsédé par la possession ? Et il y a les interrogations qui restent en suspens : l’homme au casque VR, plutôt astronome ou géographe ? Pourquoi cette peinture rouge qui zèbre le mouton ? Le Petit Prince soupirerait sûrement devant tant de questions. «Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications.»
Images d’actualité, du quotidien, d’art ou grands noms de l’histoire de la photographie… Retrouvez dans la rubrique «En images» du site de Libération les choix du service photo du journal, qui privilégie les écritures singulières, innovantes ou étonnantes. Et parce que c’est depuis toujours une préoccupation de Libération, découvrez également nos pages Images dans l’édition du week-end.